mardi 25 mars 2014

Dans certaines circonstances, le dépôt d'une action peut valoir dénonciation au sens de l'article 1739 C.c.Q.

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

La décision que vient de rendre la Cour d'appel dans Claude Joyal inc. c. CNH Canada Ltd. (2014 QCCA 588) en matière de dénonciation du vice caché est, à mes yeux, si détaillée et bien nuancée que j'ai l'intention d'y consacré un deuxième billet jeudi après-midi. Ceci étant dit, maintenant notre tradition de ne discuter que d'un point de droit à la fois, je désire attirer votre attention aujourd'hui sur le fait que la Cour d'appel vient confirmer dans cette décision que le dépôt de l'action peut valoir dénonciation au sens de l'article 1739 C.c.Q.

Les faits de l'affaire sont relativement simples.
En septembre 2006, la Ferme G. & L. Philie s.e.n.c. acquiert de l'Appelante une moissonneuse-batteuse neuve fabriquée par l'Intimée. Un peu plus de deux ans plus tard, celle-ci prend feu de manière telle qu'il n'en reste qu'une carcasse une fois le feu éteint.
L'assureur de l'acheteuse intente subséquemment un recours contre l'Appelante dans lequel elle allègue que la détérioration prématurée de la moissonneuse-batteuse était affectée d'un vice caché dont cette dernière était responsable. 
Face à cette poursuite, l'Appelante appelle l'Intimée en garantie, alléguant que, si vice caché il y a, c'est cette dernière qui en est responsable. L'Intimée répond en présentant une requête en irrecevabilité de l'action en garantie au motif que l'Appelante ne lui a pas dénoncé le vice allégué au préalable et donc que sa responsable ne peut être recherchée puisqu'il lui est désormais impossible de déterminer la cause de l’incendie, la privant ainsi du droit à une défense pleine et entière.
Le juge de première instance accueille cette requête en irrecevabilité et rejette l'action en garantie. C'est de ce jugement que l'Appelante se pourvoit.
Cette trame factuelle donne l'occasion à l'Honorable juge Pierre J. Dalphond, au nom d'un banc unanime, de faire une synthèse remarquable de l'obligation de dénonciation prévue à l'article 1739 C.c.Q. (sur laquelle nous reviendrons jeudi).
Une des observations faites par le juge Dalphond est à l'effet que, dans certaines circonstances, le dépôt d'un recours judiciaire peut valablement servir de dénonciation du vice si, au moment du dépôt du recours, il n'était pas trop tard pour dénoncer ledit vice:
[40] La mise en demeure est régie par les articles 1594 et suivants C.c.Q. Hormis les cas où les termes mêmes d’un contrat ou de la loi constituent le débiteur en demeure, la demeure est l’acte juridique (demande extrajudiciaire écrite (art. 1595) ou demande en justice (art. 1594)) par lequel un créancier intime à son débiteur d’exécuter son obligation. 
[41] À la suite de la réception d’une demande en justice ou d’une mise en demeure extrajudiciaire, le débiteur bénéficie d’un délai raisonnable pour exécuter l’obligation (art. 1595 et 1596 C.c.Q.). 
[42] Si la demeure résulte d’une demande en justice, le défaut d’une mise en demeure extrajudiciaire préalable fera en sorte que les frais de l’action devront être supportés par le créancier si le débiteur exécute son obligation à la suite de la réception de l’action (art. 1596 C.c.Q.). 
[43] La mise en demeure fait donc plus qu’informer le vendeur et l’inviter à donner suite à sa garantie, le cas échéant; elle l’enjoint de poser un geste. 
[44] Cependant, rien n’interdit qu’un même document constitue à la fois une dénonciation et une mise en demeure extrajudiciaire (Baudouin et Jobin, par. 701). De même, la demande en justice peut aussi constituer, de fait, une mise en demeure (art. 1596 C.c.Q.).  
[45] Une demande en justice pourrait aussi constituer une dénonciation au sens des articles 1738 et 1739 C.c.Q., pourvu qu’elle soit introduite dans un délai raisonnable après la découverte du vice et, dans le cas d’un vice de qualité, avant toute réparation. En pareil cas, le vendeur pourrait inspecter et, le cas échéant, corriger le vice, ce qui rendrait l’action sans objet et entraînerait son rejet aux dépens de l’acheteur (art. 1596 C.c.Q.), ou encore un désistement de ce dernier (les dépens étant alors adjugés au vendeur : art. 264 C.p.c.). 
[46] Finalement, je rappelle que lorsque le vendeur connaissait ou était présumé connaître le vice, la dénonciation peut être faite tardivement (art. 1739, 2e al. C.c.Q). Il s’ensuit que l’action en justice pourra alors constituer à la fois une dénonciation suffisante et une mise en demeure (art 1596 C.c.Q.; Denys-Claude Lamontagne, Droit de la vente, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, par. 239).
Commentaire:

Cet enseignement m'apparaît tout à fait juste et viendra je l'espère faire disparaître la croyance de plusieurs à l'effet que la dénonciation préalable au recours est une condition sine qua non du droit d'action. En effet, rien dans l'article 1739 C.c.Q. ne vient suggérer que c'est le cas.
Référence : [2014] ABD 120

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