vendredi 3 janvier 2014

Pour obtenir une injonction, il ne suffit pas d'alléguer une perte de clientèle possible ou d'une confusion possible entre deux produits, il faut également démontrer comment celle-ci aura lieu

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Le critère du préjudice irréparable en matière d'injonction provisoire ou d'ordonnance de sauvegarde se doit d'être difficile à satisfaire. En effet, si l'on doit convaincre les tribunaux d'émettre d'urgence une ordonnance d'injonction face à un dossier manifestement incomplet (et où les parties défenderesses n'ont généralement même pas le temps de présenter une preuve même sommaire à la Cour), il faut démontrer que le préjudice résultant de la non-émission de l'ordonnance sera sévère. Comme l'illustre la décision récente rendue dans Teris Services d'approvisionnement inc. c. Styropak inc. (2013 QCCS 6235), il ne suffit pas, par exemple, d'indiquer que l'on perdra de la clientèle ou qu'il y aura confusion entre deux produits, il faut également démontrer comment cela se produira.

Dans cette affaire, la Demanderesse s'adresse à la Cour pour obtenir une ordonnance d'injonction provisoire afin de faire retirer du marché un produit compétiteur propriété de la Défenderesse.
 
La Demanderesse vend à des entreprises horticoles des boîtes en polystyrène permettant l’ensemencement et la croissance de plantes.  Ce produit a été conçu par la Demanderesse pour remplacer les anciens contenants fabriqués en styromousse et est un grand succès selon celle-ci. Or, la Demanderesse allègue avoir appris récemment que la Défenderesse s'apprêtait à mettre sur le marché une boîte similaire. 
 
Saisi de cette demande, l'Honorable juge Yves Poirier est d'avis que le critère de l'urgence n'est pas respecté. Il a également des doutes quant à l'impact d'une potentielle confusion entre les produits de la Demanderesse et la Défenderesse (il discute de cet aspect au chapitre de l'apparence de droit, mais, respectueusement, la question aurait due être abordée au chapitre du préjudice irréparable):
[12] Le droit à ce stade n’est pas clair. L’apparence des produits est assez similaire, le nombre d’alvéoles, la couleur, la forme. Suivant la jurisprudence le consommateur que l’on confond est le consommateur moyen. Ici le Tribunal s’interroge sur le consommateur visé puisque ce produit n’est pas vendu au grand public, mais bien à des sociétés horticoles qui sèment des plantes dans ces boîtes et éventuellement, ce sont des consommateurs qui achètent les plantes et leur contenant le printemps venu. 
[13] Le consommateur est-il confondu lorsqu’il place sa commande chez Styropak? Cette question ne permet pas de conclure qu’il y a un droit clair et apparent dans les présentes circonstances. En quoi est confondu le commerçant-consommateur lorsqu’il passe une commande chez qui bon lui semble? S’il s’agit du consommateur, il achète d’abord des plantes et suit l’accessoire qu’est la boîte où elles ont germé et poussé. Ce critère d’apparence de droit n’est pas rencontré par Teris.
Commentaire:

D'abord, comme je l'ai indiqué ci-dessous, je pense que l'analyse du juge Poirier quant à l'impact sur le consommateur ou de l'acheteur ultime d'un produit similaire relève plutôt de la question du préjudice irréparable. Le droit apparent allégué en l'instance est le risque de confusion entre les produits peu importe qui les achète.
 
Il semble du jugement que la Demanderesse n'a pas convaincu le juge Poirier de la façon par laquelle ce risque de confusion aura un impact immédiat et irréparable sur la Demanderesse. Cette situation n'est pas inhabituelle, puisqu'il est souvent difficile de démontrer à la Cour comment le préjudice irréparable se matérialisera. C'est le fameux point B; A étant l'acte fautif et C étant le préjudice.
 
L'émission populaire South Park a d'ailleurs fait un gag assez célèbre sur la question (on parlait alors du profit au lieu du préjudice, mais la logique est la même). Vous trouverez le lien vers l'extrait de l'épisode sur youtube.com ici: http://www.youtube.com/watch?v=tO5sxLapAts 
 
Référence : [2014] ABD 5

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