vendredi 24 janvier 2014

Le fait qu'une personne est mentalement incapable d'avoir la volonté requise pour commettre un acte criminel mais ne prouve pas qu’elle est incapable d’une faute civile

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Pour commettre une faute au sens de l'article 1457 C.c.Q., une personne doit être douée de raison. Dans I.L. c. Fotohinia (2014 QCCS 129), l'Honorable juge André Prévost devait déterminer si le fait que le Défendeur a été acquitté au criminel en raison de ses troubles mentaux implique nécessairement qu'il n’était pas doué de raison et ne pouvait pas être tenu responsable des conséquences civiles de ses gestes.
 

Les faits de l'affaire sont troublants.

Le 3 juin 2011, au cours d’une entrevue pour l’obtention d’un emploi, la Demanderesse a été agressée sexuellement et séquestrée par le Défendeur qui a, de plus, proféré des menaces à son égard. La Demanderesse et son conjoint poursuivent le Défendeur ainsi que son employeur leur réclamant des dommages de 205 000 $.
 
Des accusations criminelles ont également été déposées contre le Défendeur. Celui-ci a été acquitté au motif que ses troubles mentaux le rendaient mentalement incapable d'avoir la mens rea requise. Bien que le Défendeur ne comparaît pas, le juge Prévost se questionne sur la possibilité de tenir le Défendeur responsable.
 
Après avoir analysé la question, le juge Prévost en vient à la conclusion que la non-responsabilité criminelle du Défendeur n'implique pas son absence de responsabilité civile:
[17]      Les auteurs Baudouin et Deslauriers précisent que le jugement pénal ne peut s’imposer en droit au juge civil avec l’autorité de la chose jugée puisqu’il n’existe pas, dans un tel cas, identité des parties, d’objet et de cause. 
[18]      Le jugement pénal demeure cependant un fait juridique qui peut, selon le cas, être admis en preuve. 
[19]      Ces auteurs concluent donc ainsi leur analyse de cette question : 
1-81 – Conclusion – Le jugement pénal n’a donc pas d’autorité de droit sur le jugement civil.  Toutefois, eu égard aux circonstances et aux fins particulières pour lesquelles il est mis en preuve, il peut se voir reconnaître une autorité de fait et donc avoir une influence, soit quant à son résultat, soit quant à certains éléments de son contenu. 
[20]      En l’instance, le Tribunal ne dispose d’aucune autre information à l’égard de l’état mental de M. Fotohinia le 3 juin 2011.  Comme le remarque le juge Dugas dans l’affaire Laverdure c. Bélanger : 
Le fait que Laurent Bélanger ait été atteint de maladie mentale à un point qui le rendait incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes, ou de savoir que ses actes étaient mauvais, pour employer la terminologie de l’article 16, alinéa 2 du Code criminel, prouve indéniablement que Bélanger était incapable de la volonté requise pour commettre un acte criminel mais ne prouve pas qu’il était incapable d’une faute civile.  
[le tribunal souligne; référence omise] 
[21]      Dans l’affaire Vernier c. Kaufman le juge Lamb partage ce point de vue et précise que la preuve de l’état mental d’une partie se fait ordinairement par le témoignage d’experts qualifiés.  Il ajoute que le témoignage des experts entendus dans le procès criminel ne peut être appliqué comme tel au procès civil puisque l’autre partie n’a pas eu l’opportunité de les contre-interroger. 
[22]      Le Tribunal en conclut que la responsabilité de M. Fotohinia est engagée pour les actes qu’il a posés le 3 juin 2011 envers Mme L... puisqu’aucune preuve n’établit qu’il n’était pas doué de raison à cette date.
Référence : [2014] ABD 35

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Laverdure c. Bélanger, [1975] C.S. 612.
2. Vernier c. Kaufman, [1980] C.S. 286.

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