Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
J'ai déjà exprimé l'opinion que certaines décisions rendues sur des ordonnances de sauvegarde demandées dans le cadre de recours en oppression allaient trop loin en ce qu'elles donnaient à un actionnaire des droits que la loi ne lui reconnaît pas. En effet, l'ordonnance de sauvegarde nécessite la démonstration d'un droit apparent et l'actionnaire d'une compagnie a accès à de l'information limité. Comme le souligne à juste titre l'Honorable juge Lise Matteau dans Borgia c. IPM Canada inc. (2014 QCCS 51), l'actionnaire n'a pas droit aux états financiers mensuels d'une compagnie et il ne peut les obtenir par voie d'ordonnance de sauvegarde.
Dans le cadre d'un recours en oppression, les Demandeurs recherchent l'émission d'une ordonnance de sauvegarde par laquelle ils demandent, entre autres documents, les états financiers mensuels de la compagnie Défenderesse.
Saisie de cette demande, la juge Matteau indique que les actionnaires ont le droit de voir les états financiers annuels d'une compagnie, mais pas les états mensuels. Ainsi, le critère de l'apparence de droit n'est pas rencontré:
[25] L’actionnaire a droit de consulter les statuts et les règlements administratifs de la société, leurs modifications et la convention unanime des actionnaires. Il a également le droit d’avoir accès aux procès-verbaux des assemblées et aux résolutions des actionnaires, de même qu’à un exemplaire de la liste des administrateurs de la société et de tout avis faisant état d’un changement à cet égard.
[26] Nulle part toutefois n’est-il question d’un droit d’accès en faveur de l'actionnaire à des états financiers mensuels de la société.
[27] Comme le souligne la juge Danièle Mayrand de cette Cour dans l'affaire Gritsas c. Gritsas, le droit à de telles informations, qui relèvent de l’indoor management, est conféré aux personnes qui administrent les affaires de la société, soit les administrateurs. À l’évidence, tel n'est pas le statut des frères Borgia qui, en outre, ne demandent pas de réintégrer l’entreprise.
[28] La juge Mayrand ajoute que donner effet à une telle demande équivaut ni plus ni moins à imposer un séquestre à la société. Or, rien ici ne démontre qu’il soit nécessaire de procéder de cette façon, ceci d’autant plus que comme les frères Borgia l’ont reconnu, IPM est en bonne situation financière.
[29] Par ailleurs, depuis leur départ de chez IPM, les frères Borgia ont constitué une société commerciale sous le nom de « 3SHIP ». La mission de cette entreprise consiste à desservir une clientèle aux fins de « (…)to meet your various needs in both marine and land diesel power generator maintenance and repair (…) ».
[30] Il est manifeste ici que les frères Borgia ont l’intention de se comporter comme de véritables concurrents de IPM. Dès lors, si les informations qu’ils sollicitent leur sont transmises, ils risquent de nuire à la bonne conduite des affaires de l’entreprise.
[31] S’ils ont démontré un droit clair à obtenir les états financiers annuels de IPM, force est de constater que le droit des frères Borgia d’avoir accès à des états financiers mensuels de la société apparaît fort douteux, voire même inexistant.
Est-ce dire que les Demandeurs ne pourront jamais obtenir les états mensuels? Non. Dans le cadre de la communication de la preuve - i.e. lors de l'interrogatoire après défense d'un représentant de la compagnie Défenderesse - les Demandeurs pourront demander la communication desdits états mensuels dans la mesure où ils sont pertinents au litige.
Référence: [2014] ABD 24
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