dimanche 15 décembre 2013

Dimanches rétro: l'article 46 C.p.c. ne permet pas aux tribunaux québécois de passer outre la volonté expresse du législateur

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

L'article 46 C.p.c. donne aux juges québécois des pouvoirs très étendus et, à certains égards, extraordinaires. Ce qu'il ne donne pas cependant, c'est le pouvoir de passer outre la volonté expresse du législateur. Ainsi, comme le soulignait l'Honorable juge Jacques R. Fournier (alors juge à la Cour supérieure) dans Société en commandite Adamax Immobilier c. Immobilier Soltron inc. (2010 QCCS 5613), un juge ne peut s'autoriser de l'article 46 C.p.c. pour façonner un remède procédural lorsqu'un tel remède existe déjà dans le Code de procédure civile.
 

Dans cette affaire, la Demanderesse poursuit la Défenderesse en résiliation d'une offre d'achat portant sur un hôtel construit à même l'aéroport Pierre-Elliot-Trudeau pour un prix de 79 800 000 $. Elle réclame des dommages au montant de 25 408 391$.
 
En attendant l'audition au mérite, la Demanderesse recherche l'émission d'une ordonnance de sauvegarde qui vise à ordonner à la mise en cause Kaufman Laramée de ne pas remettre les 6 000 000 $ que Soltron a déposé en fidéicommis en acompte sur le prix de vente.
 
La Défenderesse fait valoir que cette demande ne peut être accueillie puisse les critères afférents à la saisie avant jugement ne sont pas satisfaits. Pour sa part, la Demanderesse rétorque qu'elle ne demande pas une saisie avant jugement, mais demande plutôt à la Cour d'utiliser l'article 46 C.p.c. pour émettre une ordonnance de sauvegarde.
 
Le juge Fournier rejette cette demande. Il souligne d'abord que ce que recherche la Demanderesse est effectivement une saisie avant jugement. Il ajoute qu'il ne saurait être question pour une partie qui ne rencontre pas les conditions édictées à l'article 733 C.p.c. pour une telle saisie, de se replier sur l'article 46 C.p.c pour obtenir ce même remède, ce dernier article ne permettant tout simplement pas de passer outre aux énoncés exprès du législateur:
[15]        Il n'y a rien dans les affidavits déposés au soutien de la demande de sauvegarde qui viendrait étayer le péril objectif exigé pour l'émission d'un bref de saisie avant jugement sous l'autorité de l'article 733 du Code de procédure civile, c'est-à-dire des mouvements d'actifs frauduleux qui auraient pour but de permettre à Soltron de se soustraire à l'exécution d'un jugement favorable à Adamax. 
[16]        Le remède de la saisie avant jugement est prévu à l'article 733 du Code de procédure civile.  Il vise précisément à mettre sous main de justice tout ou partie du patrimoine d'un débiteur défaillant qui cherche à se soustraire à l'exécution d'un jugement.  Si les faits objectifs de la conduite de Soltron ne suffisent pas à justifier une saisie avant jugement, Adamax ne peut se replier sur une ordonnance de sauvegarde pour obtenir un résultat semblable. 
[17]        Autrement dit, ce n'est pas parce qu'on ne se qualifie pas pour un remède expressément prévu qu'on peut demander au tribunal d'utiliser ses pouvoirs inhérents pour en créer un sur mesure.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1dBhJTu

Référence neutre: [2013] ABD Rétro 50

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