vendredi 6 septembre 2013

Pour déterminer si des propos tenus par la presse sont diffamatoires, il faut prendre en considération les propos tenus en entier et non pas une simple référence

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

J'attire régulièrement votre attention sur des décisions qui rappellent que la diffamation est toujours une question de contexte et qu'il faut prendre les paroles prononcées ou écrites dans leur ensemble. C'est pourquoi je traite cet après-midi de l'affaire Guimont c. RNC Média inc. (CHOI-FM) (2013 QCCS 4132), dans laquelle la Cour réitère cette approche et souligne que l'on ne peut prendre des références hors contexte.



Après avoir été acquitté d’une accusation d’agression sexuelle injustement portée contre lui, le Demandeur commence une véritable croisade pour dénoncer ceux qui sont, selon lui, responsables de la situation injuste dans laquelle il s'est retrouvé.
 
Pour faire justice au jugement rendu et ne peut déformer la trame factuelle, je reproduis ci-dessous le récit de certains faits pertinents que fait la Cour:
[12]        Vers la fin d’octobre 2008, alors qu'il se trouve toujours dans cet état de détresse psychologique, Guimont voit s'abattre sur lui, coup sur coup, trois déceptions qui feront voler en éclats le peu qui lui reste encore de contrôle sur ses émotions. C'est au cours de cette période, en effet, qu'il apprend d’abord la faillite d'Érika Harper, puis le refus de ses demandes de dédommagement auprès du ministère de la Sécurité publique, et enfin le rejet des plaintes logées contre ses avocats auprès du Barreau du Québec. 
[13]        Le 26 octobre, alors qu'il est ivre dans un bar de Québec, Guimont invective des agents de la paix qui l'arrêtent et le gardent sous observation au poste de police pour le reste de la nuit. Deux semaines plus tard, le 13 novembre, parce qu'il se sent trop déprimé, il fait défaut de se présenter à un rendez-vous prévu chez le Dr Mailloux et c'est sa mère qui s'y rend à sa place. 
[14]        Vient enfin cette soirée fatidique du 1er décembre 2008, alors que Guimont est de nouveau ivre dans un bar de Québec. Il se confie au barman, Pascal Gagnon, à qui il raconte ses mésaventures passées et l'injustice dont il a été l'objet suite à l’accusation non fondée d'abus sexuel portée contre lui en 2001. Le barman le reconduit chez lui et est invité à y entrer pour prendre un verre. 
[15]        C'est alors que Guimont lui exhibe ce que les médias écrits et parlés qualifieront ensuite d’arsenal, soit un fusil de calibre 12 à pompe avec crosse repliable, deux vestes pare-balles, des lunettes d’approche permettant la vision nocturne, un casque militaire américain en acier, des contenants de poivre de Cayenne, des masques à gaz et un rayon laser à longue portée. 
[16]        Selon la déclaration donnée aux policiers par le barman Gagnon, les propos de Guimont, tout au long de cette rencontre nocturne, donnent lieu de penser qu'il pourrait s'en prendre à son accusatrice de 2001, Érika Harper, et aux autorités policières. Après qu’il ait mentionné quelque chose comme « Je les tirerais tous », Gagnon le prévient qu’il pourrait devoir le dénoncer à la police, ce sur quoi l’autre l’invite à le faire, tout en ajoutant «Tu vas voir que tu vas avoir tout un show »
[17]        Les deux vont ensuite déjeuner ensemble dans un restaurant, aux petites heures du matin, et Guimont remet à Gagnon le CD que sa mère et lui ont monté, en parallèle de leur site Internet, pour dénoncer l’injustice dont il aurait été victime. Sur ce disque, dont il prend connaissance quelques heures plus tard, Gagnon est interpelé par des expressions telles que «loi du talion», «œil pour œil, dent pour dent», «combattre le feu par le feu, car l’injustice appelle l’injustice» et «le temps est venu de passer aux actes, car seule la vengeance reste parfois la forme la plus sûre de justice, encore en 2008»
[18]        Troublé par ce contexte qu’il juge explosif, le barman Gagnon décide d’alerter les autorités policières. Le 3 décembre, vers 18h, une escouade du Groupe d’intervention tactique (GIT) du SPVQ procède à une intervention musclée au logement de Guimont, qui est menotté et incarcéré. Dès le lendemain, il comparait sous des accusations de menaces de mort, possession d’arme prohibée et entreposage négligent d’une arme à feu. Il est incarcéré au centre de détention d’Orsainville jusqu’au 19 décembre, date à laquelle il est libéré sous caution en attendant son procès.
Cette arrestation fait l'objet d'une importante couverture dans les médias. Le Demandeur, d'avis que cette couverture est injuste et, à certains égards diffamatoires, intente une action en diffamation contre les Défenderesses. Un des éléments qu'il évoque est la comparaison tout à fait inappropriée selon lui avec Kimveer Gill et Denis Lortie.

L'Honorable juge Gilles Blanchet rejette le recours du Demandeur, d'avis qu'il n'y a pas en l'instance de diffamation. Traitant spécifiquement de la référence à Gill et Lortie, il souligne que le contexte complet des propos démontre clairement que l'on ne faisait pas de comparaison entre eux et le Demandeur:
[42] D’abord, si l’on fait abstraction comme il se doit d’un ton que l'on pourrait qualifier de bassement populaire, tous les commentaires émis en ondes par les animateurs des radios défenderesses, les 4 et 5 décembre 2008, visaient à rapporter une intervention spectaculaire du Service de police de la ville de Québec, et cela dans la foulée d’une séquence d’événements déclenchée par nul autre que le demandeur lui-même. 
[43]        De fait, après son arrestation, Guimont a reconnu avoir sciemment cherché à provoquer cette intervention des forces de l’ordre afin d’attirer l’attention des médias et du public sur lui et sur l’injustice dont il dit avoir été victime. Ce faisant, il a allumé un brasier qu’il continue d’attiser, encore aujourd’hui, à travers le site Internet créé par lui et sa mère sous le nom de « Injustice Canada ». Dès lors, compte tenu des propos qu’il avait tenus pendant toute une nuit au barman Pascal Gagnon, le demandeur savait ou devait savoir que sa bravade interpellerait les autorités policières, d’abord, et par la suite les médias. 
[44]        Par ailleurs, dans leur compte rendu des faits entourant l’arrestation musclée du demandeur et les événements qui y ont conduit, les animateurs en cause s’en sont remis aux informations obtenues de la réceptionniste du SPVQ, le 4 décembre, puis aux articles publiés le lendemain dans les deux quotidiens à large diffusion de la ville de Québec, en l’occurrence Le Soleil et le Journal de Québec. Or, sous certaines réserves dont nous discuterons plus loin, ces informations se sont révélées conformes aux faits, tels que révélés par la suite. C’est le cas, notamment, de toutes les références faites à la possession d’armes et d’équipements de combat, à la vive rancœur entretenue par le demandeur envers celle qui l’avait faussement accusé d’agression sexuelle, en 2001, et au fait que ces événements passés avaient compromis son projet de devenir policier. 
[45]        Certes, on a d’abord dit de Guimont qu’il était connu des milieux policiers et avait eu « plusieurs démêlés avec la justice en 2001, notamment pour agression sexuelle », alors qu’il avait justement été acquitté de cette accusation et qu’il n’avait jamais été l’objet d’aucune autre avant celles qui ont suivi son arrestation de décembre 2008. À la première occasion, toutefois, l’animateur concerné est revenu en ondes pour faire aussitôt la rectification appropriée. Ainsi, vus dans une perspective d’ensemble, les propos et commentaires tenus par les animateurs des deux radios en cause n’ont pas eu comme conséquence de fausser la réalité des faits au détriment du demandeur dans l’esprit des auditeurs. 
[46]        De même, à l’écoute des émissions visées par la demande, on comprend bien que la référence faite aux Kimveer Gill et Denis Lortie, auteurs de massacres passés qui ont marqué l’actualité, ne tendait pas à affirmer qu’on se trouvait ici en présence d’un individu présentant le même degré de dangerosité. Ce que laissent plutôt entendre les animateurs, en réalité, c’est que les forces de l’ordre, en présence des informations encore embryonnaires dont elles disposaient, étaient fondées à intervenir comme elles l’ont fait, de façon musclée et organisée, cela pour le cas où le danger aurait été réel.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1cQVF7K

Référence neutre: [2013] ABD 358
 

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