dimanche 8 septembre 2013

Dimanches rétro: nul besoin d'épuiser les autres recours en responsabilité civile avant d'intenter une poursuite en responsabilité professionnelle

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Aujourd'hui, les Dimanches rétro d'À bon droit s'attaquent à la question de savoir s'il est nécessaire d'épuiser tous les recours possibles en responsabilité civile avant d'intenter une poursuite dans laquelle on allègue responsabilité professionnelle. En effet, dans Prévost-Masson c. Trust Général du Canada ([2001] 3 R.C.S. 87), la Cour suprême du Canada se penchait sur cette question.
 

Les faits de l'affaire sont les suivants tels que récités par la Cour suprême:
2 En 1988, Alban Perras est l’exécuteur testamentaire de son père, feu Joseph Avila Perras. Puisqu’Alban Perras réside surtout en Floride, sa fille Yvette Perras agit à titre de mandataire au Québec. À la demande de son père, elle recourt aux services professionnels de Masson pour toutes ses affaires et se fie entièrement à ses conseils pour leur règlement. Le 14 novembre 1988, Perras vend un ensemble de terrains, situés au sud de Montréal, à Les Immeubles Les Castels de Greenfield Park inc. Deux des actionnaires de cette société, Alfred Céré et André Pelletier, se portent débiteurs solidaires du prix de vente. Le 31 août 1989, Les Immeubles Les Castels de Greenfield Park inc. revend elle-même les terrains à 2639-1565 Québec inc. Mark Weinberg et Lucien Roy sont alors actionnaires et administrateurs de cette société commerciale. Dans l’acte de vente, 2639-1565 Québec inc. se porte débitrice solidaire du solde du prix de vente à l’égard de Perras. 
3 Le terme du paiement du solde du prix de vente des terrains échoit le 14 novembre 1990. Le 9 octobre 1990, Roy, au nom du nouvel acquéreur 2639-1565 Québec inc., demande à Perras une prolongation de terme de deux ans. Très rapidement, au nom de son père, Yvette Perras refuse cette demande. En conséquence, les acquéreurs se préparent à acquitter le solde dû. Yvette Perras confie alors à Masson le soin de préparer un état de compte du solde dû par 2639-1565 Québec inc. Dans la préparation de cet état, Masson commet une erreur qui ampute la créance de 170 000 $. Un notaire prépare les quittances et reçoit les paiements sur la base de ces chiffres, que Weinberg et Roy ne cherchent pas à corriger, bien qu’ils soient conscients de l’erreur de calcul. Au cours des mois suivants, Masson réalise son erreur. Le 8 mars 1991, il prépare un état de compte révisé au montant de 187 036,30 $. Cette somme comprend le capital et les intérêts échus à cette date. 2639-1565 Québec inc. refuse de payer. Celle-ci prétend que la somme versée au moment de la signature des quittances est exacte et correspond à l’entente des parties. Perras poursuit alors Masson, Les Immeubles Les Castels de Greenfield Park inc., les débiteurs solidaires Céré et Pelletier, de même que 2639-1565 Québec inc. et ses actionnaires Weinberg et Roy. Il base son action sur les obligations contractées dans les actes de vente et la faute professionnelle de Masson.
À la Cour suprême, la faute commise par le comptable n'est plus véritablement contestée. Celui-ci conteste plutôt les éléments de causalité et de préjudice nécessaires à l'établissement de sa responsabilité civile. Il plaide en effet que l’existence et la preuve d’un dommage éventuel dépendaient des mesures de recouvrement que la succession Perras aurait dû entamer à la suite de l’annulation de la quittance.  Ce n’est qu’après cette étape que les conditions d’ouverture d’un recours contre le comptable auraient été réunies.
 
Essentiellement, ce que l'Appelante fait valoir c'est qu'il fallait épuiser tous les autres recours possibles pour voir si la faute commise par le comptable a véritablement causé un préjudice.
 
Or, l'Honorable juge Lebel, au nom de la Cour, rejette cette prétention et conclut que la solution réside dans la solidarité imparfaite (in solidum) et non pas dans la théorie de la subsidiarité. La faute commise par le comptable a été causale au préjudice subit et nul besoin donc d'attendre que tout autre recours soit épuisé:
18 L’argument de l’appelante fait revivre la théorie de la subsidiarité du recours en responsabilité professionnelle, théorie qui a été vivement critiquée par un jugement de la Cour supérieure du Québec prononcé par le juge Lesage en 1986.  Cette critique a provoqué un revirement de jurisprudence.  Comme le soulignait le juge Lesage, avant 1986, cette théorie avait connu une faveur jurisprudentielle significative, particulièrement dans le domaine de la responsabilité notariale.  Saisis de problèmes de responsabilité professionnelle, les tribunaux devaient déterminer si le préjudice existait et si le montant de ce dernier était établi.  (Voir Caisse populaire de Charlesbourg c. Lessard, [1986] R.J.Q. 2615, p. 2622.)  Une fois l’existence du préjudice démontrée, aucun obstacle additionnel n’empêchait la poursuite contre le professionnel.  Autrement dit, la solution qui prévalait antérieurement assimilait l’auteur d’une faute professionnelle à une simple caution qui avait le droit d’exiger l’épuisement des recours contre les autres débiteurs.  Le recours en responsabilité professionnelle était alors assujetti à une sorte d’obligation préalable de discussion.  Depuis, la jurisprudence a écarté cette solution et a admis la recevabilité immédiate du recours, une fois l’existence et le montant du dommage établis. (Voir Caisse populaire St-Étienne-de-la-Malbaie c. Tremblay, [1990] R.D.I. 483 (C.A.); Leenat ltée c. Bierbrier, [1987] R.D.J. 551 (C.A.); Bourque c. Hétu, [1992]  R.J.Q. 960 (C.A.); Tamper Corp. c. Johnson & Higgins Willis Faber Ltd., [1993] R.R.A. 739 (C.A.); P.‑Y. Marquis, La responsabilité civile du notaire (1999), p. 48-52; J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, La responsabilité civile (5e éd. 1998), p. 929.)
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1bBE1rF

Référence neutre: [2013] ABD Rétro 36
 

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