dimanche 29 septembre 2013

Dimanches rétro: l'importance d'agir avec célérité même pour obtenir une injonction permanente

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

S'il est vrai que l'urgence n'est pas un critère pour obtenir une injonction permanente, il reste qu'il s'agit d'un remède discrétionnaire qui n'est pas nécessairement approprié dans toutes les circonstances simplement parce que la partie demanderesse y a droit. Ainsi, une partie demanderesse sera bien avisée d'agir avec célérité même pour demander une injonction permanente puisque, comme l'indiquait la Cour suprême du Canada dans Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée. ([1999] 1 R.C.S. 142), les circonstances pratiques peuvent changer et faire en sorte qu'une injonction permanente ne sera plus un remède approprié.
 

Les faits de l'affaire se résument assez aisément. Les Appelants étaient jadis les fabricants, en vertu d'une licence qui leur avait été consentie par les Intimées, du jus Clamato. Cette licence a été résiliée en 1983. Or, le juge du procès dans cette affaire en est venu à la conclusion que les Appelants avaient ensuite, abusivement, continué à utiliser des renseignements confidentiels concernant la recette de Clamato pour fabriquer une boisson rivale à base de tomates qu’ils ont appelée Caesar Cocktail.  
 
Devant la Cour suprême, la responsabilité des Appelants pour abus de confiance n’est plus contestée. Seule demeure la question de savoir quel sont les remèdes appropriés dans un tel contexte commercial.
 
Au nom d'un banc unanime de la Cour, l'Honorable juge Ian Binnie indique que l'injonction permanente n'est pas nécessairement le remède approprié lorsque la partie demanderesse a attendu trop longtemps pour instituer ses procédures et que l'ordonnance n'amènera pas d'impact pratique significatif:
78 Qu’elle soit provisoire, interlocutoire ou permanente, l’injonction peut être accordée dans des circonstances appropriées pour empêcher l’utilisation abusive ou la communication appréhendées de renseignements confidentiels, ou la continuation de cette utilisation ou communication. Les problèmes en l’espèce étaient, d’abord, le retard mis par les intimées à faire valoir leurs droits conjugué au changement de situation des appelants dans l’intervalle, résultant, du moins en partie, de l’inaction des intimées; deuxièmement, la conclusion du juge de première instance que les renseignements protégés n’avaient «rien de très particulier»; troisièmement, la conclusion du juge de première instance que toute perte pourrait être corrigée de manière adéquate au moyen d’une indemnité pécuniaire. 
[...] 
81 Dans Injunctions and Specific Performance (feuilles mobiles), de R. J. Sharpe, on cite au par. 1.840 de nombreux cas à l’appui du principe que [traduction] «une combinaison de retard et de préjudice causé au défendeur est nécessaire pour priver le demandeur d’une réparation particulière à laquelle il a par ailleurs droit». Cette combinaison, souvent considérée comme le deuxième élément de la règle du manque de diligence, peut provoquer le rejet d’une demande d’injonction même si la conduite du demandeur n’équivaut pas à une reconnaissance de la justesse de la position du défendeur selon le premier élément de cette règle. Le juge La Forest a souligné cette distinction aux pp. 76 à 78 de M. (K.) c. M. (H.), précité. Un bon exemple d’application de ce principe est l’arrêt Institut national des appellations d’origine des vins et eaux‑de‑vie c. Andres Wines Ltd. (1987), 40 D.L.R. (4th) 239 (H.C. Ont.), le juge Dupont, à la p. 297, confirmé par la Cour d’appel de l’Ontario (1990), 71 D.L.R. (4th) 575n, autorisation de pourvoi devant la Cour suprême de Canada refusée, [1991] 1 R.C.S. x. Dans cette affaire, l’institut français des vins et les producteurs français de champagne ont tenté d’empêcher les producteurs de vin canadiens d’utiliser le nom «champagne» pour leurs produits. Rien n’indiquait que les demandeurs français avaient reconnu la justesse de la thèse juridique avancée par les défendeurs canadiens. Néanmoins, indépendamment de toute autre considération, la cour a statué que, pendant le délai lui‑même (qui était beaucoup plus long qu’en l’espèce), les producteurs de vin canadiens avaient investi des sommes considérables dans la recherche et la mise au point d’un «champagne canadien» et s’étaient taillés une place sur le marché intérieur. L’injonction a été refusée et l’action a été rejetée intégralement pour ces raisons notamment. 
82 Toutefois, comme les auteurs le font également remarquer au par. 1.870 de l’ouvrage de Sharpe intitulé Injunctions and Specific Performance, op. cit., le retard et le préjudice n’empêchent pas nécessairement d’intenter l’action. Il peut y avoir un retard conjugué à un préjudice qui [traduction] «a un effet moins draconien et qui est pertinent quant à la question du choix de la réparation, à savoir un retard suffisant pour priver le demandeur d’une réparation particulière, mais non pour empêcher toute action». Dans Stephenson Jordan & Harrison Ltd. c. MacDonald & Evans (1951), 69 R.P.C. 10 (C.A.), à la p. 16, le tribunal a jugé pertinent pour la délivrance d’une injonction le fait que le tiers qui devait être visé par cette injonction (comme c’est le cas des appelants en l’espèce) n’avait pris connaissance de l’abus de confiance allégué qu’[traduction] «après avoir [. . .] dépensé des sommes considérables». Il restait la possibilité pour la demanderesse de réclamer une indemnité pécuniaire. Dans la présente affaire, le retard des intimées, conjugué à l’investissement et à l’activité commerciale relatifs au Caesar Cocktail auxquels s’étaient livrés les appelants dans l’intervalle, militaient fortement contre la délivrance d’une injonction. 
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/18hNlMJ

Référence neutre: [2013] ABD Rétro 39

2 commentaires:

  1. Bonjours, vous n'écrivez plus. Êtes vous en prison?

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  2. Bonjour cher anonyme et merci pour votre inquiétude, mais non je ne suis pas en prison! Simplement des travaux de mise à jour sur le blogue qui ont fait en sorte que les billets ne pouvaient être publiés cette semaine. Tous les billets vont apparaître aujourd'hui.

    Bonne lecture!

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