vendredi 5 juillet 2013

Le pouvoir du juge saisi d'un avis de gestion de limiter la durée de la preuve qui sera présentée au procès

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Au cours des dernières années, l'on a vu des jugements rendus dans certains méga dossiers (l'affaire Castor et les recours collectifs du tabac par exemple) par lesquels la Cour limitait d'avance le temps qui serait alloué aux parties (ou à une partie) pour présenter la preuve lors de l'audition. Or, l'on constate dernièrement que ce n'est plus seulement dans les dossiers d'une si grande envergure que les tribunaux useront de leur pouvoir de gestion pour limiter la durée anticipée de la preuve. L'affaire Jules Jordan Video inc. c. 144942 Canada inc. (2013 QCCS 2985) est un exemple de cette tendance récente.
 


Dans cette affaire, l'Honorable juge Louis Lacoursière est saisi d'un avis de gestion dans le cadre d'un recours en reconnaissance et exécution d'une décision étrangère. Les Demandeurs sont, en effet, d'avis que la durée qu'annoncent les Défendeurs pour leur preuve au procès est exagérée puisque la Cour, en vertu de l'article 3158 C.c.Q., ne devra pas explorer le fond du litige mais seulement décider s'il doit être reconnu au Québec.

Le juge Lacoursière, tout en soulignant qu'il ne peut à ce stade écarter des témoignages au complet au nom de l'absence de pertinence, accepte à la lumière des circonstances de l'affaire de limiter la durée prévue de la preuve en défense:
[18]        Il est presque téméraire en matière de gestion d’instance, dans un dossier de ce type, de substituer son évaluation du temps requis pour la preuve à celle des avocats et ce, malgré les impératifs de la proportionnalité. Ceci est d’autant plus difficile dans une matière où les moyens de défense impliquent des notions moins tangibles, telles la violation des principes essentiels de la procédure et l’incompatibilité avec l’ordre public. Le Tribunal ordonnera cependant certains ajustements de nature, espère-t-il, à assurer une audience efficiente. 
[19]        Les défendeurs dénoncent 119 pièces; la demande admet l’authenticité, et très souvent le contenu, d’une centaine d’entre elles. Les pièces dénoncées incluent les transcriptions de plusieurs journées de procès. 
[20]        Les défendeurs feront témoigner un expert, l’avocat Stephen H. Stone, dont ils évaluent la durée du témoignage à quatre heures. Soulignons qu’ils n’ont pas accepté la proposition des demandeurs que son rapport tienne lieu de son témoignage. Ceci étant, le rapport est succinct et il serait très étonnant que le témoignage de l’expert, incluant le contre-interrogatoire, nécessite plus de trois heures. 
[21]        Les défendeurs veulent aussi faire entendre le défendeur Elmaleh pendant près de 15 heures; ils précisent qu’il mettra l’emphase notamment sur les manquements procéduraux qui l’ont empêché de présenter une défense pleine et entière et sur les faits démontrant que le jugement a été obtenu « d’une manière contraire à l’ordre   public ». 
[22]        Le Tribunal ne peut s’empêcher de conclure que, manifestement, la durée prévue de ce témoignage est exagérée. On parle pratiquement de trois jours d’audition; compte tenu de la nature de la défense, il est vraisemblable que plusieurs de ces heures de témoignage traiteront du fond. Il y a lieu d’en réduire la durée à huit heures. 
[23]        Les défendeurs annoncent aussi les témoignages de trois avocats américains pour une durée de onze heures et demie, leurs témoignages visant essentiellement à démontrer que la procédure suivie aux États-Unis a entrainé un déni de justice et a empêché les défendeurs de pouvoir présenter une défense pleine et entière. 
[24]        Il y a certainement lieu de condenser ces témoignages, d’autant plus qu’ils s’ajouteront au témoignage de l’expert Stone. Il y a un grand risque de redite. Le Tribunal estime que l’ensemble de ces témoignages pourront être rendus en sept heures. 
[25]        Quant aux témoignages des autres témoins ordinaires, Messieurs Gasper, Brunet, Norman et Demeule, qui totalisent neuf heures et demie, bien qu’il soit possible qu’ils empiètent sur le fond, il est difficile de prévoir à l’avance ce qui sera ou non pertinent, tâche qui incombera au juge du fond. Il n’est cependant pas prématuré de prévoir qu’une période de sept heures sera suffisante pour ces témoignages. 
[26]        Pour circonscrire les témoignages des témoins ordinaires, pour permettre la préparation des contre-interrogatoires, le cas échéant, et pour s’assurer que la durée de l’audition soit ainsi réduite, il y a lieu que les avocats de la défense communiquent, dans les 45 jours du présent jugement, un résumé de chaque témoignage ( « will say statement » ) d’un maximum de trois pages, qui reflétera l’essence du témoignage et le lien avec les alinéas pertinents de l’article 3155 C.c.Q.  invoqués en défense. 
[27]        Le dépôt en vrac de plus de 100 pièces, sans distinction quant à leur pertinence en rapport avec la défense alléguée, est contraire aux intérêts de la justice et à une audition efficiente. Dans les circonstances, il y a donc lieu que les défendeurs indiquent, dans le même délai, en fonction de quel alinéa de l’article 3155 C.c.Q. chaque pièce est pertinente. 
[28]        Enfin, plus particulièrement quant aux pièces D-94 à D-104, qui sont les transcriptions d’un procès devant jury tenu du 25 juillet au 8 août 2007, les défendeurs devront indiquer, dans le même délai, quelles sont les pages des transcriptions qui sont pertinentes et qu’ils estiment avoir un lien avec les alinéas 1, 3 et 5 de l’article         3155 C.c.Q.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/129pDNM

Référence neutre: [2013] ABD 268

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