dimanche 7 juillet 2013

Dimanches rétro: l'importance du droit des citoyens d'exprimer leur mécontentement envers des entreprises commerciales comme partie importante de la liberté d'expression

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

La liberté d'expression touche multiples facettes et s'applique pleinement dans le domaine commercial. Elle est souvent la seule arme des consommateurs qui veulent exprimer leur mécontentement envers une entreprise donnée et c'est pourquoi les tribunaux verront à protéger cette liberté contre les interventions législatives injustifiées comme le soulignait la Cour suprême dans l'affaire R. c. Guignard ([2002] 1 R.C.S. 472).



Dans cette affaire, l'Appelant, mécontent du comportement de son assureur, pose une affiche sur sa propriété par laquelle il manifeste clairement ce mécontentement. Il est alors attaqué de deux fronts. D'abord, la compagnie d'assurance recherche l'émission d'une injonction civile contre lui pour faire retirer l'affiche en question. L'assureur a gain de cause en première instance, mais la Cour d'appel renverse cette décision, étant d'opinion que le message véhiculé n'était pas diffamatoire (voir Guignard c. Groupe commerce, compagnie d'assurances, 1998 CanLII 12677). Deuxième, il reçoit un constat d'infraction émis par la municipalité de Saint-Hyacinthe au motif que cet affichage contrevient à un règlement municipal qui interdit l'affichage publicitaire hors de zones industrielles.
 
L'appelant conteste ce constat d'infraction pour plusieurs motifs, dont celui voulant que le règlement municipal en question porte atteinte à la liberté d'expression protégée par l'article 2 (b) de la Charte canadienne. Malheureusement pour lui, la Cour municipale, la Cour supérieure et la Cour d'appel rejettent toutes l'argumentation qu'il avance à ce sujet.

La Cour suprême, dans un jugement unanime rédigé par l'Honorable juge Louis Lebel, infirme les jugements précédents et en vient à la conclusion que le règlement municipal contrevient effectivement à l'article 2 (b) et qu'il n'est pas sauvegardé par l'article premier.
 
Le juge Lebel rappelle d'abord l'importance de la liberté d'expression:
19 Notre Cour attache une importance particulière à la liberté d’expression. Depuis l’entrée en vigueur de la Charte, elle a souligné à maintes reprises l’importance sociétale de la liberté d’expression et sa position privilégiée dans le droit constitutionnel canadien.  Encore récemment, dans le contexte fort délicat de l’étude des dispositions du Code criminel sur la pornographie infantile, le juge en chef McLachlin rappelait l’importance fondamentale de la liberté d’expression pour la vie de chaque citoyen ainsi que pour la démocratie canadienne.  Elle protège non seulement les opinions acceptées, mais aussi celles qui contestent et parfois dérangent (R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, par. 21). 
20 Cette liberté joue un rôle critique dans le développement de notre société.  Elle confère à tous la possibilité de s’exprimer sur l’ensemble des sujets qui concernent la vie en société (voir Sharpe, précité, par. 23).  Très large, son contenu incorpore des formes d’expression d’importance et de qualité variables.  Certaines, comme le discours politique,  se trouvent au cœur même de la liberté d’expression (voir  Sharpe, par. 23; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S.  927, p. 976; Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877). 
Il ajoute ensuite que, pour les consommateurs mécontents, les affiches, pamphlets ou autres messages de nature publique sont des modes privilégiés et importants de communication et que la restriction de ceux-ci porte directement atteinte à la liberté d'expression:
25 À cet égard, les moyens d’expression simples, comme l’affichage ou la distribution de pamphlets ou de feuillets, ou déjà aujourd’hui, les messages sur Internet, constituent pour les consommateurs mécontents des modes privilégiés de communication.  En effet, le recours aux médias reste souvent hors de leur portée en raison de leurs coûts.  Dans Ramsden c. Peterborough (Ville), [1993] 2 R.C.S. 1084, notre Cour a rappelé l’importance de l’affichage comme moyen de communication efficace et peu coûteux pour les particuliers et les groupes dépourvus de ressources économiques suffisantes.  Utilisées depuis des siècles pour communiquer des renseignements de nature politique, artistique ou économique, les affiches transmettent des messages parfois percutants.  Sous des formes diverses, l’affichage constitue ainsi une forme d’activité expressive publique, accessible et efficace pour qui ne peut recourir aux campagnes médiatiques (voir Ramsden, p. 1096-1097; voir aussi Comité pour la République du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139, p. 198). 
26 En  restreignant à certains endroits désignés le droit d’utiliser ce mode privilégié d’expression, le règlement contesté porte directement atteinte à la liberté d’expression.  Cette atteinte affecte particulièrement la liberté d’expression d’une  personne qui ne dispose pas de moyens financiers importants.  Une telle limitation peut en effet avoir pour conséquence de priver cette personne des seuls moyens d’expression qui lui sont réellement accessibles.  Même d’apparence neutre, une disposition législative ou réglementaire peut avoir un impact majeur sur la possibilité d’expression d’une personne ou d’un groupe (voir Irwin Toy, p. 974-975).
En l'espèce, le juge Lebel est d'opinion que le règlement municipal, même s'il visait pas spécifiquement à empêcher un citoyen de faire de la contre-publicité, constitue une atteinte injustifiée à la liberté d'expression. En effet, les mesures prises ne rencontrent pas les critères de l'atteinte minimale et de la proportionnalité.

Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/17e4Snr

Référence neutre: [2013] ABD Rétro 27
 

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