Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
La reconnaissance et l'exécution au Québec d'une décision étrangère ne peut être accordée que si le tribunal étranger avait compétence pour entendre le litige d'origine en vertu des facteurs de rattachement énumérés aux articles 3165 à 3168 C.c.Q. Or, une fois cette compétence établie, il n'y a pas lieu pour le tribunal québécois d'aller plus loin et de se poser la question de savoir si le tribunal étranger aurait du se déclarer forum non conveniens comme le décidait la Cour suprême dans Société canadienne des postes c. Lépine ([2009] 1 R.C.S. 549).
En septembre 2000, l'Appelante dans cette affaire avait décidé de commercialiser un service d’internet à vie sur le marché canadien. Un an plus tard, l'Appelante met fin à ce service "à vie", ce qui entraîne sans surprise un grand nombre de plaintes et des recours collectifs déposés dans divers juridictions canadiennes, dont le Québec et l'Ontario.
Si le recours québécois couvre seulement les résidents de la province, celui dépose en Ontario couvre tous les citoyens canadiens, sauf ceux de la Colombie-Britannique. Une fois un règlement intervenu en Ontario (et approuvé par la Cour), l'Appelante tente de faire reconnaître et exécuter ce jugement au Québec.
Cette demande de reconnaissance est refusée par la Cour supérieure du Québec au motif que les avis publiés ont violé les principes fondamentaux de la procédure. La Cour d'appel confirme cette décision et ajoute que, même si les tribunaux ontariens étaient compétents pour entendre le recours collectifs contre l'Appelante, ils auraient du décliner compétence en vertu de la doctrine du forum non conveniens en ce qui a trait aux membres québécois du groupe.
C'est cette dernière question qui nous intéresse. La Cour suprême, dans une décision unanime rendue sous la plume de l'Honorable juge Louis Lebel, confirme la décision de la Cour d'appel quant à l'insuffisance des avis mais elle indique que cette dernière a eu tort sur la question du forum non conveniens. En effet, une fois la juridiction d'un tribunal étranger établie en vertu des articles 3165 à 3168 C.c.Q., les tribunaux québécois n'ont pas à questionner comment cette juridiction a été exercée:
[36] L’article 3164 C.c.Q établit comme condition fondamentale de la reconnaissance d’un jugement au Québec l’existence d’un lien important entre le litige et le tribunal d’origine. Les articles 3165 à 3168 énoncent ensuite de manière plus spécifique des facteurs de rattachement permettant de conclure à la présence d’un lien suffisant entre le litige et l’autorité étrangère dans certaines situations. En général, le recours à des règles spécifiques, comme celles de l’art. 3168 applicables aux actions personnelles à caractère patrimonial, permettra de statuer sur la compétence du tribunal étranger. Cependant, il se peut qu’une situation juridique complexe où plusieurs parties se trouvent dans des fors différents impose le recours au principe général de l’art. 3164 pour déterminer la compétence et recourir par exemple au for de nécessité. L’arrêt de la Cour d’appel ajoute un élément non pertinent à l’analyse de la compétence du tribunal étranger : la doctrine du forum non conveniens. Cette approche introduit ainsi un élément d’instabilité et d’imprévisibilité qui s’accorde mal avec l’attitude en principe favorable à la reconnaissance des jugements étrangers ou externes qu’expriment les dispositions du Code civil. Elle ne respecte guère les principes de courtoisie internationale et les objectifs de facilitation des échanges internationaux et interprovinciaux qui sous-tendent les dispositions du Code civil sur la reconnaissance des jugements étrangers. En somme, même dans le cas où il a recours à la règle générale prévue à l’art. 3164, le tribunal de l’exequatur ne peut s’appuyer sur une doctrine incompatible avec la procédure de reconnaissance.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/18faQFU[37] Il aurait donc suffi que les autorités québécoises se demandent si la Cour supérieure de justice de l’Ontario avait compétence au sens strict sur le litige. Si tel était le cas, les tribunaux du Québec devaient ensuite examiner si l’intimé, M. Lépine, avait établi l’existence d’autres obstacles à la reconnaissance du jugement ontarien, comme l’a d’ailleurs conclu la Cour d’appel du Québec.
Référence neutre: [2013] ABD Rétro 28
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