vendredi 31 mai 2013

N'est pas susceptible d'appel le jugement du Tribunal des droits de la personne se déclarant compétent pour entendre une affaire

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Les problèmes de juridiction concurrente sont légions en droit administratif canadien ou québécois. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à souligner que la Cour suprême du Canada s'est penchée deux fois sur la question au cours des trois dernières années d'abord dans Colombie-Britannique (Workers' Compensation Board) c. Figliola ([2011] 3 R.C.S. 422) et ensuite dans Penner c. Niagara (Commission régionale de services policiers) (2013 CSC 19). Il n'est pas toujours facile de pouvoir régler ces difficultés comme l'illustre la décision récente de l'Honorable juge Nicholas Kasirer dans Montréal (Ville de) c. Bélanger (2013 QCCA 940) où il en vient à la conclusion que le jugement par lequel le Tribunal des droits de la personne se déclare compétent pour se saisir d'un litige n'est pas susceptible d'appel.
 

Dans cette affaire, la Requérante demande la permission d’en appeler d’un jugement interlocutoire du Tribunal des droits de la personne qui a rejeté son moyen déclinatoire contestant la compétence du Tribunal pour entendre le recours des Intimés. 
 
Le recours en question en est un en dommages pour perte de revenu, préjudice moral et dommages punitifs découlant de violations alléguées des articles 4, 10, 13 et 16 de la Charte des droits et libertés de la personne. La Requérante conteste la compétence du Tribunal pour entendre ce recours au motif que seul un arbitre de grief nommé en vertu de la convention collective s'appliquant aux Intimés a compétence pour trancher le litige.
 
Après analyse, le juge Kasirer est d'opinion qu'il ne s'agit pas d'un jugement interlocutoire susceptible d'appel puisque l'article 132 de la Charte ne prévoit un droit d'appel que des décisions finales du Tribunal:
[10] L’article 132 de la Charte des droits et libertés de la personne prévoit qu’il y a un appel à la Cour d’appel, sur permission d’un de ses juges, d’une« décision finale du Tribunal / final decision of the Tribunal ». Selon l’article 133 de la Charte, les règles du Code de procédure civile relatives à l’appel s'appliquent à un appel porté en application de l'article 132 et seq., avec les adaptations nécessaires. 
[11] À mon avis, le jugement interlocutoire entrepris n’est pas une « décision finale / final decision » au sens de l’article 132 et, par conséquent, n’est pas sujet à appel. Toutefois, même si le jugement était appelable sur permission, j'estime que les fins de la justice ne requièrent pas que cette permission soit accordée. 
[12] Notons que, en règle générale, les jugements interlocutoires du Tribunal ne sont pas sujets à appel. De plus, le jugement rejetant la requête déclinatoire de compétence présentée par la Ville n'est pas une « décision finale » au sens strict du terme. Au fond, le Tribunal pourrait revoir la décision interlocutoire et se déclarer sans compétence pour entendre les recours intentés par MM. Archambault et Bélanger.  
[13] Il est vrai que le Code de procédure civile s'applique, à titre supplétif, aux appels en application de l'article 133 de la Charte. Il est également vrai qu'un jugement interlocutoire qui rejette une exception déclinatoire, puisqu'il traite d'une question de compétence, est généralement considéré comme susceptible d'appel en vertu de l'article 29 C.p.c. Toutefois, en raison du libellé de l'article 133, on pourrait croire que les articles 29 et 511 C.p.c. ne s'appliquent pas à l'appel d'un jugement interlocutoire du Tribunal qui n'est pas une « décision finale / final decision » au sens de l'article 132. Cet argument de texte renforce l'impression que le jugement entrepris n'est pas appelable.
Le juge Kasirer note ensuite que la permission d'en appeler de décisions interlocutoires du Tribunal a déjà été accordée dans le passé dans certaines circonstances extraordinaires, lesquels ne sont pas présentes en l'instance:
[14] On notera que des juges de cette Cour ont parfois accordé la permission d’appeler des jugements interlocutoires du Tribunal dans des circonstances dites« exceptionnelles ». 
[15] Sommes-nous devant une de ces exceptions en l'espèce? Je ne le crois pas. 
[16] Les intérêts de la justice, à mon avis, militent contre l'octroi d'une permission d'appeler dans les dossiers de MM. Archambault et Bélanger sur la base d'une simple expectative que la Cour suprême accordera la permission d'interjeter appel dans Audigé. MM. Archambault et Bélanger se disent victimes de discrimination et, à partir de sa compréhension de l'état actuel du droit, le Tribunal accepte compétence de trancher leurs demandes. La Ville n'est pas sans recours si, en cours d'instance, la Cour suprême indique qu'elle est prête à revoir Audigé. Elle pourrait, en outre, demander permission pour interjeter appel de la« décision finale » du Tribunal sur le fond, y compris sur une question de compétence.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/17Eywq1

Référence neutre: [2013] ABD 218

2 commentaires:

  1. Intéressant! Dans une telle situation, la révision judiciaire devant la Cour supérieure serait-elle une alternative?

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  2. Tes réflexes sont bien éguisés Pascal. Effectivement, la révision judiciaire est possible. J'attire ton attention sur un billet que j'ai écris le 25 juin 2012 (http://www.abondroit.com/2012/06/en-principe-nest-pas-susceptible-de.html) où l'Honorable juge Jacques A. Léger indiquait qu'il n'y a, en principe, pas de révision judiciaire possible pour les décisions interlocutoires sauf lorsqu'il s'agit d'une question de compétence (ce qui est très logique).

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