mardi 28 mai 2013

L'avocate qui fait référence, dans un affidavit, aux notes qu'elle a prises lors d'une audition renonce au secret professionnel à l'égard de celles-ci

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Le rôle des conseillers juridiques internes d'une compagnie pose des défis intéressants au niveau du secret professionnel et de la renonciation à celui-ci. L'affaire Service d'entretien Distinction inc. c. Nadeau (2013 QCCS 2038) par exemple met à l'avant-plan le rôle du conseiller juridique qui assiste à une audition à titre de représentant d'une des parties. Plus spécifiquement, se pose la question de savoir si les notes prises par ce conseiller sont protégées par le secret professionnel et si la production d'un affidavit y référant opère renonciation à celui-ci.
 

Dans cette affaire, la Demanderesse recherche la révision judiciaire d'une décision rendue dans le cadre d'un arbitrage de grief. La requête introductive d'instance de la Demanderesse est appuyée d'un affidavit de la conseillère juridique interne de la Demanderesse, laquelle avait agi à titre de représentant de l’employeur lors de l’audition devant l’arbitre.
 
Puisqu'il n'existe pas d'enregistrement de l'audition, l'affidavit en question discute amplement du déroulement de l’audition devant l’arbitre et fait référence aux notes prises par la conseillère juridique lors de l'audition. La requête introductive d'instance est subséquemment amendée et appuyée d'un nouvel affidavit, celui-ci ne faisant plus référence aux dites notes. 
 
Lors de l'interrogatoire sur affidavit de la conseillère juridique se pose la question de la possibilité pour le Défendeur d'obtenir copie des notes puisque la Demanderesse fait valoir qu'elles sont protégées par le secret professionnel.
 
Saisi de la question, l'Honorable juge François P. Duprat en vient d'abord à la conclusion que les notes sont protégées par le secret professionnel puisqu'elles sont prises par la conseillère juridique dans le cadre de son rôle d'avocat, et ce même si elle agit à titre de représentante lors de l'audition:
[21]        Le fait que Me Dubé soit une avocate salariée de l’employeur ne modifie pas l’existence du secret professionnel. 
[22]        Dans l’affaire Société d’Énergie Foster Wheeler c. Société intermunicipale de gestion d’élimination des déchets Inc. la Cour suprême écrivait au sujet du privilège avocat-client, du secret professionnel, de la confidentialité ou l’immunité de divulgation.   
29. Pour éviter ce type de problème, il faut demeurer conscient de la richesse du contenu de la notion de secret professionnel et savoir distinguer les composantes que touchent les problèmes particuliers soumis aux tribunaux. Plutôt que de parler indistinctement et sans précautions de secret professionnel, il importe de déterminer si l'on traite d'abord de l'obligation de confidentialité ou du droit au silence ou encore de l'immunité de divulgation à l'égard d'informations confidentielles ou d'abord de l'une, puis de l'autre. Dans le cadre législatif québécois, on constate donc que l'expression « secret professionnel » vise l'institution dans son ensemble. Cette dernière inclut une obligation de confidentialité qui, dans les domaines où elle s'applique, impose à l'avocat un devoir de discrétion et crée un droit corrélatif à son silence en faveur de son client. Ensuite, à l'égard des tiers, le secret professionnel comprend une immunité de divulgation qui protège le contenu de l'information contre sa communication forcée, même dans les instances judiciaires, sous les réserves et les limites prévues par les règles et principes juridiques applicables. Ainsi, dans le présent appel, il faudra examiner successivement les deux volets du secret professionnel, soit d'abord la portée de l'obligation de confidentialité de l'avocat, puis la mise en application de l'immunité de divulgation destinée à protéger cette confidentialité, pour statuer sur la recevabilité des questions posées aux témoins assignés par Foster. 
[23]        La Cour ajoute :  
36  De plus, il faut demeurer conscient que la fonction de l'avocat et les conditions d'exercice de sa profession ont fortement évolué. Son activité professionnelle ne s'arrête pas aux limites du monopole d'exercice que définit l'art. 128 de la Loi sur le Barreau, situation dont l'art. 129 prend acte. S'il plaide, s'il représente, s'il conseille ou s'il rédige toujours, il remplit souvent ces fonctions dans des secteurs d'activité où il se trouve en concurrence avec d'autres intervenants. Enfin, les mandats eux-mêmes peuvent comprendre des actes et des fonctions divers qui ne correspondront pas toujours à des activités d'avocat au sens propre du terme, comme le soulignait le juge Binnie dans l'affaire R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565 , par. 50 :  
Le secret professionnel de l'avocat ne protège évidemment pas l'ensemble des services rendus par un avocat, qu'il soit au service du gouvernement ou non. Bien qu'une partie du travail des avocats du gouvernement soit semblable à celui des avocats de pratique privée, ils peuvent avoir - et ont souvent - de nombreuses autres responsabilités comme, par exemple, la participation à divers comités opérationnels de leur ministère. Les avocats du gouvernement qui œuvrent depuis des années auprès d'un ministère client peuvent être invités à donner des conseils en matière de politique qui n'ont rien à voir avec leur formation et leur expertise juridiques mais font appel à leur connaissance du ministère. Les conseils que donnent les avocats sur des matières non liées à la relation avocat-client ne sont pas protégés.  
[24]        À première vue, des notes prises par un avocat de l’entreprise lors d’un débat judiciaire est un geste posé dans l’exercice de sa profession.  De  l’avis du Tribunal, ces notes sont sujettes au secret professionnel.
Par ailleurs, le juge Duprat ajoute qu'en faisant référence aux notes dans le cadre de l'affidavit souscrit et lors de l'interrogatoire sur affidavit, la Demanderesse se trouve à avoir renoncé implicitement au secret professionnel de sorte que le Défendeur a le droit d'avoir accès aux notes:
[32]        Évidemment, dans le cas présent, il n’est pas question pour l’employeur de s’être basé sur les conseils de Me Dubé pour justifier la production de la requête en révision de la décision de l’arbitre.  Plutôt, on allègue certains faits qui justifient une révision judiciaire et ces faits sont appuyés  par un affidavit de Me Dubé.  
[33]        Dans l’arrêt 9139-4429 Québec Inc. c. Rosemère (Ville de )  la Cour d’appel a eu à se prononcer sur ce qui constitue en droit Québecois, la renonciation au secret professionnel et  la perte de confidentialité.
[34] Le juge Morrissette traite d’abord de la renonciation au secret professionnel. Il écrit :
22 Mais les motifs majoritaires sont ceux du juge LeBel, avec qui le juge Dussault se déclare d'accord. Le juge LeBel dit conclure de la même façon que le juge Forget quant à l'issue du pourvoi, «mais pour des motifs en partie différents». La divergence porte sur la pertinence de l'arrêt Campbell qui, selon le juge LeBel, dans un litige régi par le Code civil du Québec et la Charte des droits et libertés de la personne («la Charte»), «n'édicte pas une règle jurisprudentielle directement applicable au présent litige». De nouveau, pour bien cerner la pensée de l'auteur de ces motifs, je vais citer assez longuement le juge LeBel :
Plutôt que de faire appel à l'arrêt de la Cour suprême du Canada, il est préférable d'examiner si, en raison de la façon dont le procès s'est engagé et des positions prises par les appelantes dans la conduite de la procédure, il est possible d'inférer une renonciation à la confidentialité de l'opinion de l'avocat. Certes, cette confidentialité constitue un élément essentiel des relations entre un avocat et ses clients. Elle prend une importance particulière dans le cas d'un corps public, comme une municipalité. Celle-ci a le droit d'obtenir des avis francs et complets de ses conseillers juridiques, sans avoir à craindre qu'ils ne puissent être jetés sur la place publique.  
À cet égard, si l'on ne retrouvait dans les procédures que la simple allégation de mauvaise foi par la demanderesse, cette prétention ne suffirait pas à justifier une tentative de communication des opinions. Toutefois, il est acquis que, si important que soit ce droit, il conserve un caractère relatif et que l'on peut y renoncer, comme le décidait la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Frenette c. La Metropolitan compagnie d'assurance [1992] 1 R.C.S. 647 , à propos d'une question de confidentialité des dossiers médicaux et hospitaliers. Il suffit que la renonciation soit suffisamment claire et précise (voir J.-C. Royer, La preuve civile, 2e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 1995, p. 661).
[35]        L’employeur en faisant appel à Me Dubé pour rédiger un affidavit détaillé ouvrait la possibilité que Me Dubé  soit interrogée.  Elle n’a pas agi à titre d’avocat devant l’arbitre mais comme représentante de l’employeur.  L’employeur a pris la décision d’utiliser l’affidavit dans le cadre  de sa demande de révision.  Me Dubé devient un témoin.  
[36]        De l’avis du Tribunal, l’employeur s’est trouvé à  renoncer au secret professionnel.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/15hnOkk

Référence neutre: [2013] ABD 212

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