vendredi 12 avril 2013

L'action rejetée pour défaut d'intérêt pour agir est une décision rendue sur le fond de l'affaire

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous discutons souvent ensemble de l'application de l'article 2895 C.c.Q. parce qu'il est d'une grande importance en matière de prescription. Cet article prévoit que le recours qui est rejeté sans qu'une décision soit rendue sur le fond donne à la partie demanderesse un délai supplémentaire de trois mois pour déposer de nouvelles procédures même si le délai de prescription est échu. La question se pose donc de savoir ce qui est "une décision rendue sur le fond de l'affaire". Dans Copropriété 889 Richelieu c. Immeuble Macha S.E.C. (2013 QCCQ 2961), l'Honorable juge André J. Brochet souligne que la décision qui rejette un recours pour absence d'intérêt pour agir est une décision rendue sur le fond de sorte que l'article 2895 C.c.Q. ne trouve pas application.
 

 
Dans cette affaire, les Défendeurs présentent des requêtes en irrecevabilité fondées sur plusieurs motifs différents, dont la prescription du recours des Demandeurs. Ces derniers invoquent l'effet de l'article 2895 C.c.Q., plaidant qu'un recours préalable a été rejeté sans qu'une décision soit rendue sur le fond de l'affaire.
 
Le recours en question a été rejeté pour défaut d'intérêt de la partie demanderesse. Le juge Brochet doit donc déterminer si ce rejet constituait une décision rendue sur le fond de l'affaire.
 
Il souligne à cet égard que la nécessité d'un intérêt suffisant pour agir n'est pas une question procédurale ou de forme, mais bien une règle de droit substantif. Ainsi, le jugement qui rejette une action pour défaut d'intérêt est un jugement rendu sur le fond de l'affaire. Il en découle que le recours des Demandeurs est prescrit:
[13]        La question en litige soulevée par ce moyen d'irrecevabilité concerne l'application de l'article 2895 C.c.Q. eu égard au jugement Langis. Dans un premier temps, ce jugement était-il une décision rendue sur le fond de l'affaire? Il est acquis que le délai de prescription est expiré, qu'il n'y a pas eu interruption et que ce délai se terminait le 1er juin 2011, nous le répétons. 
[14]        Dans un deuxième temps, les demandeurs Fortin et Routhier bénéficient-ils du délai supplémentaire de trois mois pour se substituer en quelque sorte à Richelieu, dont le recours a été rejeté pour défaut d'intérêt?  
[15]        Le Tribunal croit important de souligner d'abord que le jugement Langis fait suite à une requête présentée alors que la juge est saisie du fond du dossier. Au jour fixé pour l'audition, la procureure des défendeurs plaide l'irrecevabilité du recours. Elle pouvait le faire suivant l'article 167 C.p.c. La juge entendit ensuite les preuves de la demande et de la défense, sous réserve de sa décision quant à l'irrecevabilité. 
[16]        Aussi, le jugement Langis est fort explicite sur les motifs du rejet de l'action pour défaut d'intérêt. L'analyse de la juge, doctrine et jurisprudence à l'appui, nie le fondement du recours parce que Richelieu n'a pas l'intérêt réel et suffisant. 
[17]        Il est incontestable que le défaut d'intérêt d'une partie à une procédure est une question de droit substantiel et non une simple question de forme, de technique ou de procédure. La décision de la Cour d'appel de 1995 qui en traite est toujours citée comme autorité sur cette question. 
[18]        Dans cette affaire, la Cour d'appel écrit que l'intérêt ou l'absence d'intérêt de l'appelante est une question de droit substantif et non une simple question de procédure. Il ne s'agit pas en effet de déterminer la façon dont le droit doit être exercé, mais bien du droit d'intenter l'action. 
[19]        Dans un autre arrêt, la Cour d'appel réitère l'enseignement : «Quant à l'intérêt, il s'agit d'une règle de droit substantiel qui porte sur la capacité à introduire valablement une action en justice». 
[20]        Certes, il faut bien tenir compte que la notion d'absence d'intérêt doit faire l'objet d'une interprétation restrictive dans le cadre d'une requête en irrecevabilité: Ainsi, «le juge ne doit pas décider du mérite des prétentions des parties; le juge du fond devra s'assurer de l'absence d'intérêt sous l'article 55 C.p.c. alors que le juge saisi d'une requête en irrecevabilité doit se demander s'il est manifeste que la partie n'a pas l'intérêt requis». 
[21]        C'est exactement ce qu'a fait notre collègue madame la juge Langis. Il s'agit d'une décision rendue sur une question de fond. Et, ainsi, même si le mérite des faits n'a pas été jugé, le fond de l'affaire a été décidé puisque la demanderesse n'avait manifestement pas intérêt. Par conséquent, la prescription a continué à courir et est acquise lors de l'introduction de la présente demande. 
[22]        Le fond d'une affaire, c'est l'ensemble de son mérite à commencer par l'existence d'une partie demanderesse qui a intérêt aux conclusions demandées. Certes, cette question d'intérêt n'est qu'une partie du fond, mais atteint la légalité de toute la procédure et la fait s'éteindre sans qu'il soit nécessaire de juger des autres parties du fond, si elle n'est pas présente. 
[23]        Le jugement Langis ayant décidé du fond de l'affaire au sens de l'article 2895 C.c.Q., le recours des demandeurs est prescrit et n'a pas fait l'objet de la prolongation de trois mois prévue audit article.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/Yv3P1D

Référence neutre: [2013] ABD 148

Autre décision citée dans le présent billet:

1. Model Furs Ltd. c. H. Lapalme Transport ltée, [1995] R.R.A. 611 (C.A.).

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