vendredi 26 avril 2013

Exceptionnellement, la Cour d'appel pourra décider d'entendre une affaire qui est devenu complètement académique lorsqu'elle soulève une question d'importance

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

En principe, le rôle des tribunaux est de régler des problèmes concrets, de sorte qu'ils déclineront de se prononcer sur une affaire lorsque le problème soulevé devient purement académique. Exceptionnellement, lorsqu'une question est d'une grande importance, la Cour d'appel acceptera parfois de l'entendre même lorsqu'elle est purement académique entre les parties comme le souligne l'Honorable juge Marie St-Pierre dans Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada) c. Commission des relations du travail (2013 QCCA 737).



Dans cette affaire, le Requérant recherche la permission d'en appeler d'une décision qui a accueillie  des requêtes en révision judiciaire, annulé la décision rendue le 31 janvier 2011 par la Commission des relations de travail, déclaré que l'employeur est une partie intéressée dans le cadre de l'enquête portant sur la requête en changement de nom résultant de la fusion de syndicats et annulé à toutes fins que de droit l'ordonnance rendue par la Commission des relations de travail le 23 février 2011 interdisant aux représentants de l'employeur d'être présents à l'audition sur la requête en changement de nom.
 
L'employeur conteste cette demande de permission, soulignant que les questions qui désire soumettre le Requérant sont devenues purement académique puisqu'il s'est désisté de ses demandes.
 
La juge St-Pierre donne raison à l'Intimée et en vient à la conclusion que la permission d'en appeler ne devrait pas être accordée à la lumière du caractère maintenant purement académique du débat. Ce faisant, elle souligne cependant que la Cour d'appel se saisira parfois de telles questions lorsqu'elles sont d'une grande importance:
[11] Or, le requérant n'a pas poursuivi ses démarches de fusion et le différend concret et tangible entre les parties a disparu.  
[12]       Puisqu'il n'y a plus de litige actuel entre elles, la question portant sur le statut de « partie intéressée » de l'employeur au débat (en tout ou en partie) est devenue académique ou théorique. 
[13]       Dans Borowski c. Canada (Procureur général), sous la plume du juge Sopinka, la Cour suprême enseigne le principe voulant qu'un tribunal refuse d'entendre et de juger d'une affaire théorique sauf circonstances exceptionnelles (à moins d'exercer son pouvoir discrétionnaire) :  
La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s'applique quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties.  Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire.  Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision.  En conséquence, si, après l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique.  Le principe ou la pratique général s'applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n'exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l'appliquer.   
(J'ajoute le soulignage et le caractère gras) 
[14]        Dans Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) c. Compagnie américaine de fer et métaux inc. (AIM), sous la plume du juge Paul-Arthur Gendreau, notre Cour écrivait : 
[10] Il est reconnu qu'un tribunal ne doit exprimer son opinion qu'à l'occasion d'un litige réellement engagé. Sauf s'il est saisi d'un renvoi formé par le gouvernement, la Cour d'appel révise les jugements antérieurs ou statue sur des requêtes dont la loi lui permet de se saisir. Elle ne se prononce pas dans l'abstrait ni ne donne d'avis préalable.  
[11]           En l'espèce, les seules conclusions recherchées par AQLPA sont une déclaration suivant laquelle « l'inscription en appel […] a eu pour effet de maintenir en vigueur l'ordonnance […] prononcée le 5 avril 2006 […] » et d'ordonner à « AIM de respecter l'ordonnance […] du 5 avril 2006 ». Statuer sur ces demandes ne corrigera pas les conséquences d’une violation des droits d'AQLPA. En revanche, un éventuel jugement fournira aux appelants un avis qui les guidera pour la suite des choses.  
[12]           Malgré cela, je crois utile de répondre à la question de fond que soulève la requête des appelants pour des motifs plus larges de politique judiciaire. Une formation de la Cour n’a jamais tranché le débat dont nous sommes saisis. Or, avec la multiplication des ordonnances de sauvegarde qui semblent même prendre le pas sur l'injonction interlocutoire, ce type de problème se posera régulièrement. En statuant aujourd'hui, la Cour mettra fin à la controverse au bénéfice de tous les justiciables qui pourront se retrouver dans la même situation. Au surplus, le recours ne serait pas qualifié de théorique si c'eut été AIM qui eut requis la suspension de l'ordonnance de sauvegarde – comme ce fut le cas dans Automobiles Marc Gariépy inc. c. Municipalité du Village de St-Jean-de-Boischatel. Dans cette affaire, les appelants avaient demandé à la Cour de suspendre l'ordonnance prononcée contre eux en application de l'article de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme croyant à tort, comme la Cour en a décidé, que ce jugement constituait une injonction et demeurait en vigueur malgré l'appel (art. 760 C.p.c.).  
[13]           C'est pour ces motifs qu'exceptionnellement, je crois, il nous faut décider de la requête même si, stricto sensu, le débat ne vise pas à solutionner une affaire.  
(Références omises – j'ajoute le soulignage et le caractère gras) 
[15]       Le principe veut qu'un appel soit de nature à résoudre un débat réel entre les parties et que ce ne soit que de façon exceptionnelle que la Cour, exerçant son pouvoir discrétionnaire, accepte d'entendre une affaire devenue théorique ou académique. 
[16]       Citant une abondante jurisprudence à l'appui de leurs propos, les auteurs Denis Ferland et Benoît Emery écrivent que: 
Si une question est devenue académique, les tribunaux refusent habituellement d'entendre un appel, à moins qu'il ne s'agisse d'une importante question de droit et d'intérêt national ou public sur laquelle les tribunaux inférieurs divergent d'opinion, qu'ils ne doutent que cette question puisse leur être soumise à nouveau dans un autre litige, ou que leur refus de se prononcer n'ait pour effet de créer un cercle vicieux qui les empêcherait de se prononcer, année après année, car les pourvois même réitérés seraient devenus caducs au moment d'être entendus.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/YaIag2

Référence neutre: [2013] ABD 168

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