Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Dans plusieurs causes se pose la question de savoir si l’on peut, par voie d’une injonction ou d’une ordonnance de sauvegarde, forcer la partie adverse à nous payer un montant d’argent immédiatement. Jadis, la règle était pure et dure : impossible d’obtenir le paiement d’une somme d’argent de cette façon. Mais les choses ont évolué depuis et la réponse est aujourd’hui beaucoup plus nuancée.
Comme pour toute autre ordonnance d’injonction ou de sauvegarde, la règle générale veut qu’on ne puisse préjuger du fond de l’affaire. Ainsi, l'ordonnance de sauvegarde ne peut prendre la place du jugement au fond comme le rappelait le juge François Tôth dans Labelle c. Bérard (2011 QCCS 4067).
Dans cette affaire, le demandeur a poursuivi les défendeurs et leur assureur en responsabilité à la suite des blessures qu'il a subies lors de l'effondrement de l'escalier extérieur du logement qu'il louait aux défendeurs. Il demande par voie d'ordonnance de sauvegarde que le tribunal ordonne à l'assureur de lui payer pendant l'instance, une indemnité de remplacement du revenu et ses frais de physiothérapie et de médicaments.
Le juge Tôth ne fait pas droit à cette demande et réitère la règle mise de l'avant ci-dessus. Puisque l’ordonnance de sauvegarde requise aurait l'effet d'un jugement sur le fond, elle est inappropriée en l’espèce. Le juge Tôth ajoute que « l'ordonnance de sauvegarde n'est pas un expédient permettant d'obtenir une condamnation anticipée sans qu'un procès n'ait eu lieu ».
Or, dans certaines circonstances où les parties continuent leur relation, qu’elle soit commerciale ou pas, il apparait injuste de priver la partie demanderesse des paiements auxquels elle a droit. C’est pourquoi les tribunaux québécois ont décidé que, dans certaines circonstances, le paiement d'une somme d'argent via une ordonnance de sauvegarde sera possible. Le juge Jocelyn Verrier a été appelé à délimiter ces circonstances dans Commission scolaire English-Montréal c. Collège Rachel (2010 QCCS 2592).
Il s’agissait en l’instance d’une dispute entre locateur et locataire. Dans le cadre de cette dispute, la Commission scolaire (la locatrice) demandait le prononcé d’une ordonnance qui (a) ordonnait le dépôt dans un compte de fidéicommis des arrérages et (b), ordonnait le paiement mensuel du loyer pendant la durée des procédures judiciaires.
Après avoir passé en revue la jurisprudence pertinente, le juge Verrier en vient à la conclusion qu’il n’est pas possible d’obtenir le paiement d’une créance échue (les arrérages) par voie d’ordonnance de sauvegarde, mais tout à fait approprié d’ordonner le paiement des loyers futurs au fur et à mesure qu’ils deviennent payables. Pour lui, le but de l'ordonnance de sauvegarde est de trouver, dans le meilleur intérêt de la justice et pour un temps limité, un « modus vivendi » susceptible de causer le moins de préjudices possible à l'une ou l'autre des parties, en soupesant leurs droits apparents ou contestés.
C’est donc selon cet axe que s’articule généralement (je dis bien généralement parce qu’il existe des cas d’espèce) la jurisprudence : pas question d’obtenir le paiement d’un montant en souffrance (même lorsque le droit à ce montant n’est pas contesté, voir : Construction GCEG Inc. c. TRI Immobilier, s.e.c., 2010 QCCS 3348), mais il est possible d’obtenir une ordonnance garantissant les montants futurs.
Dans sa décision récente dans Pro-Jet Démolition inc. c. Pomerleau inc. (2012 QCCS 5884), le juge Jean-Yves Lalonde explique bien l’impératif ultime à respecter :
[16] Ce n’est qu’exceptionnellement que le tribunal accordera une ordonnance de sauvegarde qui oblige une partie intimée à payer une somme d’argent.
Référence neutre: [2012] ABD 458[17] Dans l’arrêt Sanimal, la Cour d’appel énonce le principe suivant lequel, « en droit des affaires, particulièrement mais non limitativement, les ordonnances de sauvegarde sont utiles, voire nécessaires pour rétablir un certain équilibre entre les parties contractantes. Toutefois, la mesure de sauvegarde ne doit pas constituer la reconnaissance d’un droit d’une partie à une somme d’argent. En clair, lorsque exceptionnellement accordée, l’ordonnance de payer une somme d’argent ne doit pas empêcher le juge du fond de rendre un jugement final qui ne peut remédier au jugement interlocutoire, si le droit accordé n’est pas éventuellement reconnu. »
Le présent billet a initialement été publié sur le site d'actualités juridiques Droit Inc. (www.droit-inc.com).
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