dimanche 9 décembre 2012

Dimanches rétro: les enseignements de la Cour d'appel quant aux injonctions interlocutoires qui restreignent la liberté d'expression

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Je discute régulièrement avec vous de la possibilité d'obtenir une injonction provisoire ou interlocutoire pour restreindre la liberté d'expression d'une personne (voir, par exemple, notre billet de septembre 2012: http://bit.ly/VsIgIf). C'est dans l'affaire Champagne c. Collège d’enseignement général et professionnel de Jonquière (1997 CanLII 10001) que la Cour d'appel a, pour la première fois, mis de l'avant les principes juridiques applicables. C'est pourquoi nous traitons aujourd'hui de cette affaire dans le cadre de la série des Dimanches rétro.
 

Il y a quelques années, dans l’affaire Prud’homme c. Rawdon (2010 QCCA 584), la Cour d'appel indiquait que les tribunaux québécois n’accepteront d’émettre une injonction provisoire ou interlocutoire qui limite la liberté d’expression que dans les « situations les plus claires et rares où le caractère diffamant ou injurieux des propos est évident et ne peut être justifié d'aucune façon. Encore là, l’ordonnance d’injonction ne sera prononcée que si la preuve établit, de façon prépondérante, que l’auteur a l’intention de récidiver ». La gènese de cette affirmation se trouve dans l'affaire Champagne.
 
Dans celle-ci, les Appelants demandaient à la Cour d'appel de mettre de côté une injonction interlocutoire qui les sommait de:
NE PAS diffamer, ridiculiser et calomnier de quelque façon que ce soit, directement ou indirectement, la et à l'encontre de la partie demanderesse-requérante, ses officiers entre autres son directeur général, M. Jacques Vézina, ses administrateurs, dirigeants et employés, en diffusant sur les ondes des propos à caractère diffamatoire ou vexatoire entre autres, de la nature et du genre de ceux soulignés dans le présent jugement ou incitant la population à tenir de tels propos à l'égard de la partie demanderesse-requérante, ses officiers, entre autres et notamment son directeur général, M. Jacques Vézina, ses administrateurs, dirigeants et employés;
Cette ordonnance a été obtenue dans le contexte d'une action en diffamation intentée contre les Appelants à la suite du prononcé à la radio de propos jugés inacceptables par l'Intimée.

C'est dans ce contexte que la Cour d'appel, sous la plume de l'Honorable juge Melvin Rothman, se penche pour la première fois sur le cadre juridique qui doit gouverner une demande d'injonction provisoire ou interlocutoire qui limite la liberté d'expression.
 
Le juge Rothman souligne d'abord qu'il ne fait pas de doute que les tribunaux ont le pouvoir d'émettre de telles injonctions, mais que c'est un pouvoir qui doit être très rarement utilisé:
There are, of course, reasonable limits to freedom of expression in any democratic society. One cannot, to take a well known and extreme example, shout "fire" in a crowded theatre. One cannot publish obscene material (Butler v. R. 1992 CanLII 124 (SCC), [1992] 1 S.C.R. 452). One cannot publish hate literature (R. v. Keegstra 1990 CanLII 24 (SCC), [1990] 3 S.C.R. 697). 
Among the reasonable limits to freedom of expression are the provisions of our law against libel and slander. One has no right to make false statements which will injure the reputation of another. 
There is no doubt, under our law, that the Superior Court has jurisdiction to restrain by injunction the making or publication of defamatory statements which will cause damage or injury to a person's reputation. (Art. 7 C.C.P.; Dubois v. La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal [1983] C.A. 247; Scotia McLeod Inc.v. Champagne, J.E. 89-1084 (C.S.); Gingras v. Entreprises Télécapitale Ltée and Arthur, C.S. Québec no. 200‑05‑002850-811, May 3, 1985, Bergeron, J.; Kerr, Injunctions, 6th edition, 1927, page 493; Sharpe, Injunctions and Specific Performance, 1983, Toronto Canada Law Book Limited, page 222). 
In principle, the courts have the power to issue an interlocutory injunction pending the trial and final judgment in a defamation action, but that power has been exercised very sparingly. There are, doubtless, some cases where the right to an interlocutory order is so clear and the danger, if it is not issued, is so serious, that an interlocutory injunction restraining the publication or comment prior to trial is justified. In my respectful opinion, this is not such a case.
Ces très rares cas sont ceux où la partie défenderesse n'offre aucune défense possible pour les propos en question et qu'il est apparent qu'elle entend les répéter. Autrement, les tribunaux ne devraient pas émettre d'injonction provisoire ou interlocutoire puisque ce serait là préjuger du mérite de l'affaire et indument restreindre la liberté d'expression:
At this stage, we have no way of knowing what the defence to the action will be, much less what the evidence and arguments in law will be. Nor do we know what statements Champagne will make on his radio program in the future. While some of his past statements, if untrue, may appear abusive, we do not know his position on these. Will he allege truth? Fair comment on a matter of public interest? Good faith? Absence of malice? We simply do not know any of these things. 
To restrain all critical and negative comment about the college would amount to prior restraint of the unknown. Some of his past comments may have been perfectly legitimate. Some may have been damaging but made in good faith and in the public interest. Some of the comments are matters of opinion, some are statements of fact. Some of the statements may ultimately be found to be abusive, defamatory and unjustifiable. If that is the case, damages may be awarded to compensate the college for any injury to its reputation and, if warranted, exemplary damages may be awarded as well. 
But until these issues have been determined, I do not see how the courts can restrain abusive comments, in advance and before they are made, without risking the suppression of legitimate comment. (Picard v. Johnson & Higgins Willis Faber Ltée 1987 CanLII 891 (QC CA), [1988] R.J.Q. 235, 239). 
It is true that the terms of the injunction would only enjoin comments that defame, ridicule or falsely accuse the college, but these terms do very little beyond what the law already does to separate acceptable comment from defamation. All the injunction does is indicate to the potential offender that, for any future breaches, he will be liable to sanctions for contempt in addition to damages. Since the future comments are unknown, this is likely to have a numbingly chilling effect on the expression of any future opinions about the administration of the college. (The situation would, of course, be different if we were dealing with the risk of future publication of a clearly defamatory document, the contents of which were known.)
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/RQSPcn

Référence neutre: [2012] ABD Rétro 9

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