vendredi 16 novembre 2012

Jurisprudence contradictoire en matière de testament olographe écrit via un moyen technologique

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Le 19 septembre dernier, j'attirais votre attention sur une décision de la Cour supérieure qui posait le principe voulant qu'un document dactylographié ou écrit par ordinateur, même lorsque signé à la main, ne pouvait se qualifier à titre de testament olographe (voir notre billet ici: http://bit.ly/T5P9Bo). Or, dans la récente décision de Gendreau c. Laferrière (2012 QCCS 5525), un autre juge de la Cour supérieure vient d'en arriver à la solution contraire.


Dans cette affaire, l'Honorable juge Claudette Tessier Couture, dans le cadre d'une requête en vérification de testament, doit déterminer si un document écrit par ordinateur et signé à la main par le défunt peut être qualifié de testament olographe au sens du Code civil du Québec.
 
La décision de la Cour dans l'affaire Bellemore (Succession de) (2012 QCCS 4283), dont notre billet du 19 septembre dernier traitait, ne semble pas avoir été soumise à la juge Tessier Couture (du moins elle n'en discute pas dans ses motifs) ce qui n'est pas surprenant à la lumière du fait que cette décision a été rendue moins d'une semaine avant la tenue de l'audience dans la présente affaire.
 
Après analyse de la preuve, la juge Tessier Couture en vient une conclusion contraire à l'affaire Bellemore, étant d'opinion que le fait que le document n'était pas écrit à la main ne l'empêchais pas de se qualifier à titre de testament olographe:
[54] Ce document a été écrit par un moyen technique, un ordinateur, il n’a pas été écrit de la main du testateur. Cette condition est-elle une condition essentielle au testament olographe? Il importe de noter que ce document a été signé par Louis Laferrière et que la signature de ce dernier a été reconnue par sa nièce et filleule en faveur de qui il avait signé une procuration notariée visant à ce qu’elle puisse s’occuper de toutes ses affaires au Canada. De plus, la signature du texte traduit vers l’espagnol a été aussi reconnue comme étant celle de Louis Laferrière et il y a eu confirmation que cette signature a été apposée le 3 mars 2006 devant Mariella Diaz, celle qui a traduit vers l’espagnol le document écrit par un moyen technique et rédigé en français. 
[55] De plus, la fille de Louis Laferrière, la mise en cause Manon Laferrière, a témoigné qu’à sa retraite, Louis Laferrière «s’est mis à se débrouiller sur l’ordinateur».Elle a aussi témoigné qu’alors, Louis Laferrière habitait Saint-Jérôme, qu’ils échangeaient par courriel et aussi que lors de sa visite au Canada en décembre 2006, il lui avait demandé ou proposé qu’ils s’«écrivent par courriel pour échanger des nouvelles»
[56] Le moyen technique utilisé pour écrire le document signé le 14 février 2006 était donc familier à Louis Laferrière, et ce, malgré son âge. 
[..­.] 
[59] Le témoignage de Christiane Lemaire est éloquent sur la façon dont Louis Laferrière conduisait ses affaires. Celle-ci confirme aussi que Louis Laferrière utilisait des moyens techniques pour communiquer avec elle. Ceci est un élément important dans l’appréciation des circonstances de la préparation du document signé le 14 février 2006 et du caractère essentiel ou non des conditions énoncées à l’article 726 C.c.Q. 
[60] Le Tribunal conclut que la preuve révèle que Louis Laferrière utilisait de façon régulière un moyen technique pour écrire et communiquer. 
[...] 
[75] Le Tribunal conclut que le document que l’on demande de reconnaître comme testament olographe contient de façon certaine et non équivoque les dernières volontés de Louis Laferrière qui, en 2010, avait confirmé à sa fille Manon sa volonté de vivre dans ce pays en renonçant aux démarches d’immigration. 
[76] En conséquence, même si dans les faits le texte écrit avec un moyen technique et signé de la main de Louis Laferrière aurait dû être écrit en entier de la main de ce dernier, le Tribunal ne considère pas qu’il y a défaut de forme à une condition essentielle.
Reste maintenant à savoir si la Cour d'appel se penchera sur cette jurisprudence contradictoire pour régler la question. C'est à suivre.

Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/XMFTpx

Référence neutre: [2012] ABD 418
 

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