Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
L'article 396.1 C.p.c. prévoit qu'aucun interrogatoire préalable n'est permis dans les causes où la somme demandée est inférieure à 25 000$. Est-ce dire qu'on ne peut pas obtenir, de par le mécanisme prévu par les articles 397 et 398 C.p.c., obtenir la communication préalable de documents? Allant à l'encontre d'une certaine jurisprudence existante jusqu'à maintenant, l'Honorable juge Pierre A. Gagnon en vient à la conclusion qu'il est possible de demander la communication préliminaire de documents en vertu de ces articles dans une cause de moins de 25 000$ dans l'affaire Pouliot c. Boutique Chics pitous inc. (2012 QCCQ 8134).
Dans cette affaire, le Demandeur poursuit la Défenderesse afin qu'elle lui rembourse le prêt de 15 000 $ qu'il lui a fait le 28 novembre 2011. Le terme du prêt en question est de deux ans, mais le contrat prévoit que le prêt est remboursable à demande dans certaines circonstances, par exemple lorsque le Demandeur s'aperçoit «du mauvais fonctionnement de la direction de Boutique inc., volontaire ou non, de la mauvaise direction ou administration».
La Défenderesse conteste l'action en affirmant notamment que sa situation financière est en constante amélioration.
Suite au dépôt de la défense, les avocats du Demandeur présentent une requête pour obtenir la communication de documents, soit les états de compte des fournisseurs, les états financiers 2011 et 2012 ainsi que les états de créances gouvernementales provinciale et fédérale de la Défenderesse Se pose donc la question de savoir si l'on peut, dans une cause de moins de 25 000$ où l'on est pas autorisé à tenir un interrogatoire préalable, demander la communication de documents au stade préliminaire.
Dans son analyse, le juge Gagnon souligne d'abord que la jurisprudence et la doctrine sur cette question est divisée:
[11] La question se pose donc: l'article 396.1 C.p.c interdit-il non seulement l'interrogatoire préalable comme tel mais également les assignations pour communication de documents?
[12] Dans l'affaire Avaco, le Tribunal conclut que la possibilité d'assigner une partie à comparaître, en vertu de l'article 398 C.p.c., pour donner communication et laisser prendre copie de tout écrit se rapportant au litige s'inscrit obligatoirement dans le cadre d'un interrogatoire préalable. Il conclut que l'article 396.1 C.p.cs'applique à cette assignation.
[13] L'auteur Léo Ducharme exprime son désaccord avec le jugement Avaco:
962. Dans l'affaire Importations Avaco Canada ltée c. Lisi, le tribunal a jugé que, par suite de l'abrogation de l'article 401 C.p.c. et l'incorporation de la procédure d'assignation pour la communication de documents aux articles qui traitent de l'interrogatoire préalable, cette procédure a perdu tout caractère distinctif et autonome sur la base des motifs suivants: le fait qu'il est question de cette procédure dans la sous-section du code intitulée «De l'interrogatoire préalable» et non celle intitulée «De la production de documents»; le fait que si, le législateur avait voulu que ce recours continue de subsister en tant que recours autonome, il aurait pu conserver l'article 401 C.p.c., ce qu'il n'a pas fait; et le fait qu'il est difficile de concevoir qu'une assignation effectuée en vertu de l'article 398 C.p.c. pour obtenir communication de documents se rapportant au litige, puisse avoir lieu sans qu'il y ait nécessité de procéder à questionner le témoin de quelque façon que ce soit.
963. Ces arguments ne nous apparaissent pas convaincants. Même si, jusqu'à présent, une assignation pour communication de documents a presque toujours été jumelée à une assignation pour interrogatoire, il existe quelques cas où cette procédure a été utilisée de façon autonome, ce qui démontre qu'il est faux de prétendre que la tenue d'un interrogatoire est toujours nécessaire pour obtenir d'un témoin la communication d'un document. A ce propos, il y a lieu de noter qu'en vertu de l'article 281 C.p.c., un témoin peut être assigné à seule fin de produire un document, comme il appert de l'article 281 C.p.c. Cet article prévoit, en effet, qu'un témoin peut être assigné pour déclarer ce qu'il connaît, pour produire quelque document, ou pour les deux objets à la fois. Il n'y a aucune raison qu'il n'en soit pas ainsi en ce qui concerne une assignation pour communication de documents. De plus, le fait qu'une personne qui a été assignée pour communication de documents doive donner des explications si elle ne peut y donner suite, cela n'implique pas que ces explications doivent être données sous serment au cours d'un interrogatoire. Par ailleurs, tant l'ancien article 401 C.p.c., que l'article 402 C.p.c., démontrent qu'une assignation pour communication de documents ne nécessite pas qu'elle soit l'accessoire d'une assignation pour interrogatoire.
964. Par ailleurs, ce n'est pas respecter le sens littéral des articles 397 et 398 C.p.c. que d'affirmer qu'en vertu de ces articles, une assignation pour communication de documents doit nécessairement être l'accessoire d'une assignation pour interrogatoire. L'emploi de la disjonctive «ou», dans ces articles, commande que soit reconnu le caractère autonome de l'assignation pour communication de documents par rapport à une assignation pour interrogatoire. Le sort distinct que le Code attribue à une déposition par rapport à une communication de documents confirme cette autonomie. En effet, en vertu de l'article 398.1 C.p.c., ce sont seulement les dépositions recueillies au cours d'un interrogatoire préalable qui peuvent être produites au dossier pour valoir preuve, à l'exclusion de tout document communiqué au cours d'un interrogatoire.
965. C'est eu égard aux coûts élevés qu'entraînent les interrogatoires préalables que le législateur a jugé à propos de les interdire dans les causes dans lesquelles la somme demandée ou la valeur du bien réclamé n'excède pas 25 000$. Deux facteurs expliquent ces coûts élevés: le facteur temps et la nécessité de prendre en sténographie les dépositions. Or, ces deux facteurs n'interviennent pas dans le cas d'une assignation pour communication de documents. En effet, tout ce que cette procédure exige, c'est que le témoin comparaisse et qu'il exhibe les documents demandés ou qu'il explique pourquoi il ne peut les produire. Comme cette comparution ne prend guère de temps et qu'elle ne nécessite pas la présence d'un sténographe, le facteur coût ne saurait justifier que la prohibition des interrogatoires préalables soit étendue aux assignations pour communication de documents.
966. L'extension de l'interdiction des interrogatoires préalables aux assignations pour communication de documents conduit au résultat paradoxal suivant: si un écrit se rapportant au litige est en la possession d'un tiers, il est possible d'en obtenir communication au moyen d'une requête, en vertu du premier alinéa de l'article 402 C.p.c., mais si un tel écrit se trouve en la possession de la partie adverse, il n'y aurait aucun moyen d'en obtenir communication, à moins qu'il ne s'agisse d'un écrit dont cette partie est tenue de donner communication en vertu des articles 331.1 C.p.c. et suivants.
[14] De même, les auteurs Guillemard et Menétrey critiquent ce jugement en écrivant:
689. Une décision de la Cour du Québec a estimé que «la demande de communication d'un écrit mentionnée à l'article 398 C.p.c. ne peut être dissociée de la procédure de l'interrogatoire préalable. En effet, on ne peut concevoir qu'une assignation effectuée pour obtenir la communication de documents puisse avoir lieu sans qu'il y ait lieu de questionner le témoin de quelque façon que ce soit»,Importations Avaco canada ltée c. Lisi, EYB 2005-91193 (C.Q.). Cette solution isolée repose nous semble-t-il sur une interprétation erronée de la conjonction «ou» de l'article 398 C.p.c.
[15] Enfin, dans l'affaire Bui c Ville de Montréal, le Tribunal résume les positions opposées de Avaco et de l'auteur Ducharme pour ensuite conclure au paragraphe 11 du jugement «ce moyen de communication d'écrit prévu à l'article 398 C.p.c. est différent et autonome d'un interrogatoire sur tous les faits». Il permet alors la communication de documents dans un dossier de moins de 25 000 $.
[16] L'auteur Céline Gervais, maintenant juge à notre Cour, commente le jugement Avaco peu de temps après qu'il ait été rendu:
Cette décision s'inscrit parfaitement dans le cours de tous les autres jugements qui ont eu à interpréter l'article 396.1 C.p.c. et qui l'ont d'ailleurs fait de façon restrictive. En effet, à ce jour, bien peu d'ouverture a été laissée aux plaideurs qui ont tenté, par tous les moyens, de contourner la règle de l'interdiction d'un interrogatoire dans les dossiers de moins de 25 000 $.
(…)
Les Tribunaux semblent considérer que le libellé de l'article 396.1 C.p.c. ne leur laisse pas la discrétion d'ordonner la tenue d'un interrogatoire dans des dossiers de faible valeur. Cette disposition est souvent appliquée avec le nouvel article 4.2 C.p.c. relatif à l'exigence du caractère proportionné des procédures. On peut certes dire que, jusqu'à ce jour, les tribunaux ont respecté l'esprit du nouveau Code de façon rigoureuse. La décision commentée en est un exemple frappant.
Pour sa part, le juge Gagnon en vient à la conclusion que la demande de communication de documents n'est pas un "interrogatoire préalable" au sens du Code et qu'il est permis de demander une telle communication dans les causes de moins de 25 000$:
[17] Après analyse, le Tribunal conclut que l'article 396.1 C.p.c.n'interdit pas la communication de documents dans les causes dans lesquelles la somme demandée est inférieure à 25 000 $.
[18] D'abord, l'interrogatoire préalable est traditionnellement défini et compris comme l'exercice consistant à interroger une personne sur les faits de la demande ou du litige. Dans son dictionnaire, Hubert Reid définit ainsi l'interrogatoire préalable:
[...]
[19] Historiquement, l'interrogatoire préalable est distinct de la communication de documents. Le fait que le législateur intègre la possibilité d'obtenir la communication de documents à l'occasion d'un interrogatoire préalable proprement dit n'empêche pas la communication de documents de façon autonome. Les deux sont des procédures spéciales d'administration de la preuve.
[20] Par l'article 396.1 C.p.c., Le législateur vise d'abord et avant tout à éviter le temps et l'argent consacrés aux interrogatoires dans des dossiers dont la valeur en litige est moindre:
[...]
[21] Or, la simple communication de documents ne comporte pas les frais inhérents à l'interrogatoire préalable. La communication de documents avant l'instance permet aux parties, à peu de frais, d'apprécier les prétentions de la partie adverse en fonction de la preuve documentaire pertinente disponible. Elle favorise le règlement du litige.
[22] Refuser la communication de documents oblige la partie qui la requiert à assigner au procès par bref de subpoena le témoin qui les détient. La partie et son procureur ne prennent alors connaissance du document qu'à l'audience. Ceci prolonge d'autant la durée de l'audience et comporte le risque d'une demande de remise. Un tel résultat ne rencontre pas la volonté du législateur de favoriser une saine administration de la justice et de réduire les coûts.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/WOEYV5[23] Somme toute, M. Pouliot a droit à ce que Boutique inc. lui communique un «écrit se rapportant au litige» au sens de l'article 398 C.p.c.puisque l'article 396.1 C.p.c. ne s'applique pas à cette communication.
Référence neutre: [2012] ABD 388
Autres décisions citées dans le présent billet:
1. Importations Avaco Canada ltée c. Lisi, J.E. 2005-1257 (C.Q.).
2. Bui c Ville de Montréal, 2011 QCCQ 8450.
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