mercredi 24 octobre 2012

On ne peut lever le voile corporatif d'une société en commandite

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

En août 2010, je discutais avec vous du fait que le législateur a pris la décision de ne pas doter les sociétés de personnes (société en commandite, nom collectif ou participation) d'une personnalité juridique distincte (voir notre billet ici: http://bit.ly/XUVReA). Ainsi, celles-ci n'étant pas des personnes morales, il n'est pas question de lever leur voile corporatif, tel que le souligne l'Honorable juge Diane Marcelin dans l'affaire Bernard c. Leprechaunm s.e.c. (2012 QCCS 5186).


Dans cette affaire, la Demanderesse recherche une condamnation personnelle contre les commanditaires et les commandités d'une société en participation.

Or, la juge Marcelin souligne dès le début de son analyse qu'il ne saurait être question de la levée du voile corporatif lorsque l'on recherche la responsabilité d'un commanditaire ou d'un commandité, la société en commandite n'étant pas une personne morale:
[50] Dans cette affaire, plusieurs concepts se heurtent. Dans un premier temps, le défendeur Mullins gère la société en commandite, composée par une société à numéro à titre de commandité, dont les deux actionnaires sont Claude Dumont et Mme Morency. Cette dernière est la principale commanditaire de la société Leprechaun. Notons que, selon le témoignage de Mullins, il n'y a pas de contrat pour la société en commandite. Nous devrions donc prendre pour acquis les renseignements ci-haut. En conséquence, la preuve de la contribution de Mme Morency, à titre de commanditaire principale, n’a pas été faite puisqu’il n’y a pas eu de contrat de déposé.  
[51] Madame Bernard nous demande de percer le voile corporatif de la société en commandite. Cela n'est pas possible en vertu des articles du Code civil et de la jurisprudence pertinente. 
[52] L'article 317 du Code civil du Québec se lit ainsi:
«317. La personnalité juridique d'une personne morale ne peut être invoquée à l'encontre d'une personne de bonne foi, dès lors qu'on invoque cette personnalité pour masquer la fraude, l'abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l'ordre public.»
[53] Il faut donc se poser la question si une société en commandite est une personne morale au sens de l’article 317 C.c.Q. C'est l'article 2188 C.c.Q. qui répond à cette question :
«2188. La société est en nom collectif, en commandite ou en participation. 
Elle peut être aussi par actions; dans ce cas, elle est une personne morale.»
[54] Il faut conclure de la rédaction de cet article que seule la société par actions est une personne morale. La conclusion logique est donc que la levée du voile corporatif n'est pas possible dans le cas d'une société en commandite.
Comme l'indique ensuite la juge Marcelin, en cas d'insuffisance des biens de la société, l'on pourra chercher à exécuter un jugement contre les actifs et les biens du commandité et du commanditaire mais, dans ce dernier cas, seulement jusqu'à concurrence de son apport promis. On pourra également, si les circonstances s'y prêtent poursuivre directement le commandité ou le commanditaire sur une base extracontractuelle, à charge cependant de démontrer l'existence d'une faute distincte de celle de la société en commandite commise par le commandité ou le commanditaire:
[55] C'est l'article 2246 (1) C.c.Q. qui prévoit la responsabilité du commandité et du commanditaire quant aux dettes de la société en commandite:
«2246. En cas d'insuffisance des biens de la société, chaque commandité est tenu solidairement des dettes de la société envers les tiers; le commanditaire y est tenu jusqu'à concurrence de l'apport convenu, malgré toute cession de part dans le fonds commun. 
Est sans effet la stipulation qui oblige le commanditaire à cautionner ou à assumer les dettes de la société au-delà de l'apport convenu.»
[56] De plus, le deuxième alinéa de cet article prévoit qu'est sans effet, toute stipulation qui oblige le commanditaire à assumer ou cautionner des dettes au-delà de l'apport convenu. 
[57] Cette position a d'ailleurs été prise par la juge Courteau à l'affaire Corporation des maîtres électriciens c. Clément Jodoin Électrique inc. & al et aussi par le juge Paul Vezina qui déclare :
«Une société en commandite n'est pas une personne morale distincte des associés qui la composent, commanditaires et commandités. Il y a un lien direct entre les associés et les professionnels dont ils retiennent les services pour leur société. Même si la responsabilité d’un commanditaire est limitée à sa mise de fonds, il est responsable jusqu’à concurrence de cette limite, envers chaque personne avec qui la société contracte et ce sont ses deniers qui la payent.»
[58] C'est donc contre le commandité et le commanditaire que le tiers lésé doit se tourner jusqu'à concurrence de l'appoint consenti quant au commanditaire. Il n'y a pas de limite en ce qui concerne le commandité sauf évidemment sa capacité de payer.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/RWeFpL

Référence neutre: [2012] ABD 383

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Corporation des maîtres électriciens c. Clément Jodoin Électrique inc. & al, AZ-00021261.
2. Corporation Financière E.J.G. Inc. c. Lisette Audet, J.E. 98-1100 (C.S.).

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