mercredi 17 octobre 2012

La Cour du Québec a le pouvoir d'émettre des ordonnances de sauvegarde

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Le pouvoir d'émettre des injonctions, nous en avons déjà discuté (voir: http://bit.ly/PBR3uM), est réservé à la Cour supérieure à l'exclusion des tribunaux arbitraux et la Cour du Québec. Mais qu'en est-il de l'émission d'ordonnances de sauvegarde? Dans Beaulieu c. Construction Vesta Inc. (2012 QCCQ 7746), l'Honorable juge Pierre A Gagnon en vient à la conclusion que la Cour du Québec, dans certaines circonstances, a effectivement le pouvoir d'émettre de telles ordonnances.


Dans cette affaire, d'avis que la Défenderesse les a empêché d'exercer proprement leur droit de rétention prévu à l'article 2111 C.c.Q., les Demandeurs requièrent l'émission d'une ordonnance de sauvegarde contre les Défendeurs  pour que ces derniers déposent judiciairement la somme de 50 339,25 $ à titre de garantie de bonne exécution des travaux requis pour corriger des travaux déficients.

Se pose donc la question de savoir si la Cour du Québec a le pouvoir d'émettre une ordonnance de sauvegarde du type que réclame les Demandeurs.
 
Le juge Gagnon, s'inspirant de la réforme de 2003 à l'article 46 C.p.c., d'un article de doctrine et de quelques décisions récentes, en vient à la conclusion que la Cour du Québec a le pouvoir d'émettre de telles ordonnances:
[26] Historiquement, l'ordonnance de sauvegarde est un accessoire de l'injonction, domaine réservé à la Cour supérieure. Prononcée lors de la présentation de demande d'injonction interlocutoire, la Cour supérieure y applique les critères de l'injonction interlocutoire provisoire, soit l'apparence de droit, le préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients et l'urgence. 
[27] Toutefois, le 1er juin 2003, le législateur incorpore spécifiquement l'ordonnance de sauvegarde à l'article 46 C.p.c., autorisant par le fait même la Cour du Québec à l'émettre. L'auteur Donald Béchardargumente que l'application des critères de l'injonction interlocutoire provisoire à l'ordonnance de sauvegarde de l'article 46 C.p.c. n'est pas de mise parce que: Une ordonnance de sauvegarde n'est pas une injonction au sens de l'article 760 C.p.c.;
Ø Le texte de l'article 46 C.p.c. doit être interprété d'abord pour ce qu'il est;
Ø L'article 46 C.p.c. doit être interprété de la même façon que la Cour suprême du Canada a interprété le pouvoir de la Cour d'appel de «rendre toute ordonnance propre à sauvegarder les droits des parties» de l'ancien article 523 C.p.c.;
Ø Le législateur ne réfère pas aux critères de l'injonction dans l'article 46 C.p.c.;
Ø Si l'ordonnance de sauvegarde est de la nature d'une injonction, pourquoi la Cour du Québec serait-elle alors compétente pour l'émettre?
Ø Il faut lire l'article 46 C.p.c. en conjonction avec la règle de proportionnalité de l'article 4.2 C.p.c.
[28] Trois jugements de notre Cour citent l'opinion de Me Béchard et n'appliquent pas automatiquement les critères de l'ordonnance d'injonction interlocutoire provisoire à l'ordonnance de sauvegarde.  
[29] Ainsi, dans Flap Flap Mangement inc. c. Gestion Dumi inc., le Tribunal partage en tous points l'opinion de Me Béchard et ordonne à un acheteur de restaurant de déposer judiciairement une somme de 28 450 $ qu'il reconnaît devoir à titre de solde de prix de vente. Le vendeur croule alors sous les dettes et le fisc est à ses trousses. Le Tribunal juge que l'ordonnance de sauvegarde est appropriée, l'acheteur se finançant à même ce solde de prix de vente aux dépens du vendeur. 
[30] De même, dans Savard c. Entreprises CAM construction inc., le Tribunal approuve l'opinion de Me Béchard et ordonne à un entrepreneur en construction le dépôt judiciaire d'une somme de 34 712,50 $ qu'il admet devoir mais qu'il omet de consigner au greffe du Tribunal. 
[31] Dans ces jugements, le Tribunal a le souci de rétablir l'équilibre entre les parties et remédier au préjudice que le demandeur subit.   
[32] Le Tribunal partage le point de vue de Me Béchard et de ses collègues. L'ordonnance de sauvegarde vise la protection des droits ou des intérêts des parties pendant une durée déterminée ou jusqu'à jugement final. Le Tribunal recherche par l'ordonnance à rétablir un équilibre entre les droits et les obligations de chacune des parties. Les critères de l'injonction interlocutoire provisoire ne sont pas nécessairement appropriés pour décider du droit d'une partie à l'ordonnance de sauvegarde.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/QVnjVP

Référence neutre: [2012] ABD 373

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Flap Flap Mangement inc. c. Gestion Dumi inc., 2010 QCCQ 11985.
2. Savard c. Entreprises CAM construction inc., 2011 QCCQ 1986.

1 commentaire:

  1. Bonjour,

    Cette ordonnance de sauvegarde en est-elle vraiment une qui sauvegarde les droits des parties?

    En fait, le juge a ordonné à Construction Vesta de déposer une somme judiciairement. Ce dernier ne s'est pas exécuté. Puisqu'il est en défaut, une sanction a été demandée par les demandeurs. Le défendeur devint forclos de plaider, suite à une demande des demandeurs, donc ne peut présenter de défense ni assigner de témoins.
    Cependant, l'ensemble de la procédure a pris du temps et été très onéreuse. Le résultat, un jugement qui n'a fait que retarder la tenue du procès. Aucune somme d'argent n'a été versée par le défendeur, et le demandeur, bien qu'il puisse poursuivre ses procédures, n'a pas un sous de garantie. Le seul et unique administrateur de l'entreprise peut, quant à lui, obtient un délai supplémentaire. Est-ce que cela protège les demandeurs d'une faillite éventuelle des défendeurs? Non? Existe-il un moyen d'empêcher les personnes mal intentionnées de se soutirer d'un jugement par une faillite? La loi est trop permissive et il est également trop facile de se libérer d'une faillite comparativement à la tâche qui attend le demandeur s'il veut prouver que le failli est de mauvaise foi et a fraudé.

    Une fois toutes ces procédures terminées, est-ce que les demandeurs auront un jugement qui sera inexécutable pour cause de faillite des défendeurs? C'est ce que laisse croire l'attitude de Construction Vesta inc. par le fait qu’elle n’a pas déposé les sommes exigées dans le jugement. Est-ce qu'il y a un moyen pour les demandeurs d'avoir un jugement qui leur sera utile et qui leur permettra de retirer de l'argent si leurs demandes sont accueillies? Si vous avez une approche aussi ingénieuse que celle qui a été utilisée dans cette requête pour ordonnance de sauvegarde, partagez-là.

    Bonne journée.

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