Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
La troisième édition des Dimanches rétro nous fait remonter le temps pour discuter d'une décision très importante de la Cour d'appel du Québec sur la quantification des dommages dans le cas d'une violation de clause restrictive (non-concurrence ou non-sollicitation). En effet, dans Uni-Sélect inc. c. Acktion Corp. (J.E.
2002-1693) la
Cour d'appel opérait un changement de cap significatif en la matière en décidant
que le créancier d'une obligation de non-concurrence pouvait réclamer des
dommages équivalent au préjudice qu'il avait subi en raison de la contravention
ou au gain réalisé par le débiteur en raison de cette même contravention.
Les faits
Dans cette affaire, un banc composé des
Honorables juges Rousseau-Houle, Otis et Proulx infirme unanimement la décision
de la Cour supérieure et condamne Acktion Corporation (“Acktion”) et K. Rai Sahi
(“Sahi”) (collectivement les “Intimés”) à payer le montant de 4 400 000,00$ en
dommages à Uni-Sélect Inc. (“Uni-Sélect”) pour avoir contrevenu aux modalités
d'une clause de non-concurrence.
Uni-Sélect et Acktion sont deux entreprises
concurrentes dans le domaine de la distribution de pièces automobiles dans les
provinces du Québec et de l'Ontario. En 1989, Acktion vend son entreprise de
distribution de pièces automobiles à Uni-Sélect. Le contrat de vente contient
une clause de non-concurrence par laquelle Acktion s'engage à ne pas faire
concurrence à Uni-Sélect dans le marché de la distribution de pièces automobiles
pour une période de cinq (5) ans.
Le contrat contient également une clause en
vertu de laquelle Acktion reconnaît qu'une contravention de sa part à la clause
de non-concurrence causerait un préjudice irréparable à Uni-Sélect. Par
ailleurs, le contrat n'inclu pas de clause pénale ou de dommages liquidés qui
s'appliquerait à une telle contravention.
Nonobstant l'existence de la clause et avant
l'expiration de la période de non-concurrence, Acktion fait l'acquisition des
toutes les actions émises de McKerlie-Millen Inc. (“McKerlie-Millen”), une
compétitrice directe de Uni-Sélect. Tant le juge de première instance que la
Cour d'appel s'entendent qu'il s'agit là d'une contravention flagrante de la
clause de non-concurrence. Facteur aggravant en l'instance, Uni-Sélect était
également intéressée à faire l'acquisition de McKerlie-Millen. D'ailleurs,
Uni-Sélect était le seul autre acquéreur potentiel à s'être manifesté.
À l'époque, Sahi, chef de la
direction d'Acktion, s'inquiétait de la possibilité que l'acquisition par la
compagnie des actions de McKerlie-Millen constituerait une contravention à la
clause de non-concurrence. Il demande même une opinion juridique à ce
sujet. Puisque la direction est d'opinion que les dommages potentiels que
pourraient devoir payer l'entreprise sont minimes lorsque comparés avec les
avantages stratégiques, financiers et autres associés à cet achat, la
transaction va de l'avant.
Décision
En l'absence d'une clause pénale ou de dommages
liquidés, le débat en appel est axé principalement sur la question de savoir si
la contravention d'Acktion a causé quelque préjudice que ce soit à Uni-Sélect
et, si c'est le cas, de quantifier ceux-ci.
Le juge de première instance en était venu à la
conclusion que Uni-Sélect n'avait pas subi de dommages puisque la preuve ne
permettait pas d'établir que, sans l'intervention d'Acktion, elle aurait été en
mesure d'acquérir les actions de Mckerlie-Millen. De plus, la Cour acceptait
l'argument d'Acktion que Uni-Sélect ne subissait aucun autre préjudice
puisqu'elle était confrontée au même nombre de concurrents sur le marché
qu'avant l'acquisition par Acktion de Mckerlie-Millen.
Bien que la Cour d'appel n'exprime pas de
désaccord quant à la conclusion factuelle à laquelle en est venu le juge de
première instance sur la question, elle indique que le juge a eu tort de limiter
le cadre de son analyse sur les dommages à cette question. La Cour d'appel
indique:
36. Dans le contexte actuel d'un engagement de non-concurrence, le débiteur qui contrevient à son obligation en réintégrant un secteur d'activités qui lui était prohibé, tire un avantage économique considérable qui, selon les lois fondamentales du marché, entraîne une perte pour le créancier de l'obligation. Or, la restitution de l'avantage obtenu du fait de l'inexécution est un des volets que reconnaît l'article 1611 C.c.Q. qui précise que «les dommages dus au créancier compensent la perte qu'il subit et le gain dont il est privé».
Se basant sur la décision de la Cour suprême du
Canada dans Banque d'Amérique du Canada c. Société de Fiducie
Mutuelle, la Cour d'appel indique qu'il existe deux méthodes pour
quantifier le préjudice subi par le créancier de l'obligation. La première
méthode est de quantifier la perte de profit potentiel pour le créancier, alors
que la seconde, celle que la Cour utilise en l'instance, consiste à déterminer
le montant du gain illicite obtenu par la débitrice de l'obligation comme
résultat de sa contravention.
En l'instance, la Cour d'appel est d'avis que
le préjudice subi par Uni-Sélect est équivalent au gain financier d'Acktion
suite à la transaction. Utilisant cette méthode, la Cour estime le montant des
dommages à 4 400 000$, ce qui correspond aux projections internes
d'Acktion elle-même quant aux profits qui seront générés par l'intégration des
opérations de McKerlie-Mille à celles d'Acktion.
Cette décision marquait un tournant important
dans la jurisprudence québécoise, laquelle a traditionnellement édicté que les
dommages sont nécessairement calculés en quantifiant la perte réelle et actuelle
subie par le créancier, i.e. sa perte de revenus ou de profits.
Cette décision met également en relief
l'importance d'inclure, comme c'était le cas ici, une clause indiquant qu'une
contravention à l'obligation de non-concurrence causerait à la créancière un
préjudice significatif et irréparable. En effet, la Cour souligne l'étendue du
préjudice subi par Uni-Sélect en s'appuyant, entre autre, sur le fait que les
parties elles-mêmes avaient reconnu l'importance de cette obligation dans le
contrat.
Finalement, cette décision devrait motiver
toutes les parties à inclure, avec toute clause de non-concurrence, une clause
de dommages liquidés afin qu'elles puissent adéquatement anticiper et quantifier
les conséquences d'une contravention à une clause de non-concurrence. Sans elle,
la créancier pourra avoir de la difficulté à prouver ses dommages et la
débitrice s'exposera à une condamnation en dommages quasi-illimitée.
Le texte intégral du jugement est disponible
ici: http://bit.ly/fypoWf
Référence neutre: [2012] ABD Rétro 3
Référence neutre: [2012] ABD Rétro 3
Autre décision citée dans le présent billet:
1. Banque d'Amérique du Canada c. Société de Fiducie Mutuelle, [2002] 2 R.C.S. 601.
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