jeudi 19 juillet 2012

Établir qu'une personne est l'alter ego d'une autre ne suffit pas à établir sa responsabilité pour les gestes de la deuxième

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous en avons déjà traité à deux reprises (voir nos billets de juin 2011 et février 2012), mais l'on voit encore l'argument plaidé si souvent qu'un troisième billet nous semble nécessaire. Le fait pour une personne d'être l'alter ego d'une autre n'est pas, en soit, fautif comme le rappelle l'Honorable juge Line Samoisette dans Société Innovatech du Sud du Québec c. Signaflex inc. (2012 QCCS 3275).


Dans cette affaire, la Demanderesse intente des procédures judiciaires contre les Défendeurs pour les forcer à compléter l'achat de ses actions et lui verser le montant de 11 455 287,00 $ plus intérêts. La première Défenderesse est la partie co-contractante alléguée de la Demanderesse, alors que les autres Défendeurs sont poursuivis en raison du fait qu'ils sont prétendument les alter ego de cette Défenderesse.

La juge Samoisette en vient à la conclusion que le recours contre la première Défenderesse devait être rejeté, de sorte que la question de l'alter ego n'avait pas à être décidée. Elle commente néanmoins la question.

Elle indique principalement que le fait pour les autres Défendeurs d'être des alter ego de la première Défenderesse n'entraîne pas automatiquement leur responsabilité:
[175] La loi prévoit que chaque personne morale a une entité distincte. Ce n'est qu'exceptionnellement qu'une personne de bonne foi peut demander de ne pas tenir compte de la personnalité juridique d'une compagnie. L'article 317 du Code civil du Québec se lit :
«317. La personnalité juridique d'une personne morale ne peut être invoquée à l'encontre d'une personne de bonne foi, dès lors qu'on invoque cette personnalité pour masquer la fraude, l'abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l'ordre public.»
[176] La notion d'alter ego est ainsi décrite par Me Paul Martel :
«1-279" La mention de l'expression «alter ego» ou de ses synonymes «instrument», «marionnette», «façade», «simulacre»etc. apparaît fréquemment dans la jurisprudence et la doctrine relatives au soulèvement du «voile corporatif». Une société est déclarée être l'alter egode son actionnaire, corporatif ou non, ou de sa société-sœur, et le tribunal fait abstraction de sa personnalité juridique distincte pour sévir contre cet actionnaire ou cette société-sœur.  
1-280 Par «alter ego», l'on entend que la société est si intimement liée à son actionnaire qu'elle n'est en réalité que le reflet, le conduit de celui-ci. Ainsi que l'a expliqué la Cour suprême du Canada,
«Une corporation peut être considérée comme l'alter ego d'une autre lorsqu'on retrouve entre celles-ci une relation si intime que ce qui, en apparence, relève des affaires de l'une appartient, en réalité aux activités de l'autre. 
( ... ) Au niveau le plus élémentaire, la notion d'alter ego ainsi que les affaires dont nous avons discuté plus haut traitent toutes de l'opportunité de privilégier le fond sur la forme et de considérer deux entités corporatives distinctes comme une seule et même personne…»
[177] En soi, il n'y a rien de mal à ce qu'une société soit un alter ego. Il en va autrement lorsque l'alter ego est utilisé pour commettre, à l'instigation ou au bénéfice de l'actionnaire ou d'une autre société, une fraude, un abus de droit ou une contravention à une règle d'ordre public, tel qu'énoncé par Me Paul Martel:
«1-289 Dans toutes ces circonstances, aucune référence au «voile corporatif» ou à l'article 317 ne sera requise. Le recours à la notion de l'alter ego suffira. L'interrelation de ces deux notions est la suivante : l'article 317 permet le «soulèvement du voile corporatif» lorsque la société est l'alter egode son actionnaire ou d'une autre société, et qu'elle est utilisée pour commettre, à l'instigation ou au bénéfice de celui-ci ou de celle-ci, une fraude, un abus de droit ou une contravention à une règle d'ordre public. En l'absence d'un de ces trois gestes, le fait que la société soit un alter egon'entraînera pas le non-respect de son identité corporative, ou de l'immunité de son actionnaire. 
1-290 Il n'y a en soi rien de mal à ce qu'une société soit un alter ego. Ce n'est que si elle est utilisée aux fins répréhensibles énoncées à l'article 317 que le «voile corporatif» peut être soulevé. La jurisprudence est à l'effet qu'en l'absence de fraude, l'identité corporative d'une société, même alter ego, sera respectée. »
[178] Il ne suffit donc pas de démontrer qu'il y a un alter ego, mais également, démontrer par prépondérance de preuve son utilisation pour des fins répréhensibles.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/Qd2UOE

Référence neutre: [2012] ABD 246

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