vendredi 29 juin 2012

Les menaces de représailles et l'intimidation extrajudiciaires sont un indice puissant d'abus du processus judiciaire

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Je prône depuis longtemps une application plus large des articles 54.1 C.p.c. et suivants pour prendre en considération le comportement extrajudiciaire des parties dans la détermination du caractère abusif (ou pas) du comportement d'une partie.  Les tribunaux se montrent par ailleurs réticents à se lancer dans cette arène, craignant que l'abus de droit au fond ne deviennent systématiquement source de réclamation d'honoraires extrajudiciaires. Cette position est tout à fait compréhensible et défendable (voir le raisonnement de la Cour d'appel dans l'affaire Viel). Reste que certaines décisions entreouvrent la porte en prenant en considération le comportement extrajudiciaire d'une partie pour déterminer si ces procédures ou son comportement procédural sont abusifs. L'affaire Iris, Le groupe visuel (1990) Inc. c. 9105-1862 Québec Inc. (2012 QCCA 1208) offre une belle illustration de cette réalité.


Dans cette affaire, l'Appelante se pourvoit contre un jugement de première instance où la Cour supérieure en est venue à la conclusion, entre autre, qu'il n'existait pas de contrat de franchise entre les parties et que le comportement de l'Appelante équivalait à un abus de procédure qui justifiait le prononcé d'une condamnation en dommages.

En particulier, la juge de première instance avait pris note de l'intimidation extrajudiciaire à laquelle avait procédé l'Appelante, alors même qu'elle était consciente de la fragilité de la position qu'elle prenait dans ses procédures. La cour d'appel n'y voit pas là une conclusion déraisonnable et elle confirme donc cette partie du jugement:
[65] La juge d'instance consacre 27 paragraphes (66 à 93) pour exposer la conduite d'Iris qu'elle qualifie, à tous égards, d'abusive pour ne pas dire odieuse. 
[66] Elle fait état de certaines procédures incidentes non fondées (requête en disqualification des avocats de la partie adverse, contestation d'une demande d'amendement, contestation d'une demande de réunion d'actions, etc.) et impute à Iris et à ses administrateurs un comportement inadmissible durant l'audition (ex : allusion non fondée à l'intégrité de M. Duchemin). 
[67] La juge d'instance emprunte des exemples aux autres dossiers qui ont opposé les parties, notamment les procédures en jugement déclaratoire pour permettre à M. Duchemin d'exercer son option d'acheter les actions de Mme Tremblay. Cette façon de faire n'est pas sans créer des difficultés, particulièrement au chapitre de l'octroi des dommages comme nous le verrons plus loin. 
[68] Au départ, il faut rappeler que la juge d'instance exerce ici une discrétion qui ne peut être mise de côté si elle est raisonnable. 
[69] À la lecture du jugement on déduit que, dans l'opinion de la juge d'instance, le seul fait d'intenter des procédures en injonction était abusif en l'absence d'un contrat de franchise dûment signé. 
[70] Avec égards, je ne partage pas ce point de vue. Il suffit de dire que, selon moi, la réclamation d'Iris contre 9105 Québec est en partie fondée pour conclure que le seul fait d'intenter un recours n'est pas abusif. 
[71] Cette conclusion ne justifie pas pour autant la façon dont Iris a exercé ses droits. À ce sujet, la juge d'instance fournit plusieurs exemples. 
[72] De son analyse de la preuve, la juge d'instance conclut que M. Jean, le p.d.g. d'Iris, a menacé M. Duchemin de prendre tous les moyens pour l'intimider; elle écrit :
[79] Le témoignage de monsieur Duchemin, lui, tant en chef qu'en contre-interrogatoire, est précis : monsieur Jean lui a dit que, s'il ne réglait pas, il n'avait rien vu encore et que cela pourrait prendre des années, ça ne le (Jean) dérangeait pas.
[...] 
[74] Bien que cet incident soit survenu à l'occasion de l'audition devant la Cour d'appel dans le dossier en jugement déclaratoire, la juge d'instance pouvait raisonnablement déduire que M. Jean avait l'intention de mener les procédures de façon excessive pour écraser financièrement M. Duchemin et sa société, et ce, également dans le présent dossier. 
[75] Je suis donc d'avis que la juge d'instance n'a pas commis une erreur manifeste et dominante en concluant à une conduite abusive de la part d'Iris dans le présent dossier.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/N3iZjh

Référence neutre: [2012] ABD 217

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