mardi 19 juin 2012

Dans le cadre d'un interrogatoire, on peut demander à un témoin ordinaire de produire des documents scientifiques dont il a possession

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Les règles de preuve veulent que l'on ne peut poser à un témoin ordinaire des questions qui appellent à l'expression d'une opinion, ce domaine étant réservé aux témoins experts. Est-ce également dire que l'on ne peut demander à ce même témoin de produire des documents scientifiques qui sont en sa possession lors d'un interrogatoire? La Cour d'appel répond par la négative à cette question dans Rogers Communications inc c. Châteauguay (Ville de) (2012 QCCA 1115).


Dans cette affaire, l'Appelante se pourvoit contre un jugement qui a accueilli une objection formulée lors de son interrogatoire en chef d'un de ses représentants. Dans le cadre de celui-ci, l'Appelante a demandé au témoin de produire une série de documents externes à caractère scientifique qui étaient en sa possession, ce que le juge de première instance lui a refusé vu son statut de témoin ordinaire de la personne qui témoignait.

La Cour d'appel, dans un jugement unanime, en vient à la conclusion que le juge de première instance a fait fausse route en se fiant sur la jurisprudence qui traite des documents que l'on peut introduire via le contre-interrogatoire d'un témoin expert, puisque les documents en question ici sont de la connaissance du témoin:
[2]  Dans l’arrêt R. c. Marquard, la Cour suprême a établi certaines limites quant à l'admissibilité de documents qui sont présentés à un témoin expert en contre-interrogatoire. Ces principes ne peuvent appuyer l’objection de l'intimée vu que la situation est tout à fait différente. Le ratio de cet arrêt, lorsque lu dans son contexte, est clairement d'éviter qu'un document nié ou méconnu d'un témoin expert puisse néanmoins être mis en preuve indirectement par le biais de son contre-interrogatoire. La raison est évidente sur le plan de l'admissibilité d'une preuve, d’autant que la production de tels documents pourrait parfois avoir des effets négatifs sur la crédibilité du témoin expert dont il est question, notamment du seul fait de son ignorance de tels documents. 
[3] En l’espèce, la situation est tout à fait différente : le témoin a identifié lui-même et apporté avec lui les documents, dont il a personnellement connaissance dans le cadre de son travail chez Santé Canada, qu'il a jugé utiles ou nécessaires pour illustrer sa narration de faits, notamment pour expliquer le contenu du Code de sécurité 6 et ses opérations de mise à jour. Avec égards, la première juge a erré en s’appuyant sur l'arrêt Marquard pour empêcher le témoin de produire ces documents dans un contexte différent.
Selon la Cour d'appel, dans la mesure où les documents sont pertinents, leur production doit être permise, sous réserve de l'établissement subséquent de leur force probante.

Par ailleurs, le témoin ordinaire ne pourra donner son opinion en traitant de ces documents:
[11] Sans se prononcer sur l’utilité de l'ensemble des documents que le témoin a choisi d'apporter avec lui, il n’en reste pas moins qu'ils font partie de ceux avec lesquels il est appelé à travailler fréquemment et qui lui sont familiers. S’agissant d’une affaire civile, et tout en rappelant les balises déjà annoncées par l’appelante en première instance, et en réitérant qu'un témoin ordinaire ne peut exprimer d’opinion relevant de l'expertise, il faut favoriser la recevabilité de la preuve, alors que la juge tranchera plus tard de sa valeur probante. Ceci rejoint en quelque sorte la solution préconisée par notre Cour dans l'arrêt Laviolette.   
[12] Par ailleurs, l'avocat de l'appelante a précisé, en appel, l'objectif qu'il poursuit en produisant les documents et en interrogeant le témoin :
Démontrer le processus décisionnel de Santé-Canada dans l'adoption de la norme et de sa mise à jour en établissant ce dont il a été tenu compte à cette fin, de même que les raisons pour lesquelles on en a, ou pas, tenu compte. Il n'est toutefois pas question de démontrer, par leur seul dépôt, le bien-fondé des documents.
[13] Dans ces circonstances, le témoin rendra témoignage sur les faits dont il a connaissance et on ne peut présumer qu'il donnera alors son opinion. La juge du procès pourra évidemment rendre les ordonnances appropriées au fur et à mesure du dépôt des documents.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/MDYCMK

Référence neutre: [2012] ABD 202

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223.
2. Laviolette c. Bouchard, (2001) AZ-50099170 (C.A.).

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