mardi 22 mai 2012

L'expertise qui ne traite en rien des faits d'une affaire et ne semble pas utile peut être rejetée au stade préliminaire

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Habituellement, l'on voit des parties se plaindre du fait que l'expert de la partie adverse se prononce sur la question ultime en litige et tente d'usurper le rôle du juge chargé de l'affaire. C'est pourquoi j'ai trouvé l'affaire Coulombe c. Bois Belzile inc. (2012 QCCS 2116) intéressante, puisque la partie demanderesse se plaint du contraire, i.e. du fait que l'expertise est purement théorique et ne se penche en rien sur les faits de l'affaire.


Dans cette affaire, le Demandeur recherche le rejet de l'expertise produite par la Défenderesse au motif qu'elle est purement théorique, ne se penche pas sur les faits de l'affaire et n'est, au compte final, d'aucune utilité pour la Cour.

Après avoir noté que la règle générale veut que ce soit le juge au fond qui décide de l'utilité ou la force probante d'une expertise, l'Honorable juge Carl Lachance est forcé d'admettre que celle qui lui est présentée semble très mince et ne formule aucune conclusion utile pour le dossier. Pour cette raison, il en vient à la conclusion qu'il est préférable de rejetter cette expertise dès le stade préliminaire du dossier, afin d'éviter de voir le Demandeur déposer une contre-expertise:
[9] Comme le souligne, avec justesse, le procureur de la partie demanderesse, elle ne se prononce aucunement sur les faits entourant le litige. 
[10] Sans préciser le mandat reçu, l'expert émet des opinions à partir de sa pratique et de la jurisprudence sans donner ses sources, comme il le mentionne au début de son document. 
[11] Il ne s'agit pas d'opinions sur des points techniques ou scientifiques à partir de l'étude des faits en litige et d'une visite des lieux, comme on retrouve généralement dans une expertise, pouvant venir en aide au Tribunal dans sa tâche d'analyse du dossier et de décideur. 
[12] À notre avis et malgré la prudence dont nous devons faire preuve à ce stade-ci, le document, tel que rédigé, ne revêt pas les caractéristiques pour se qualifier comme expertise, même s'il porte la signature d'un expert. 
[13] Il ne se prononce pas sur la valeur de la perte que pourrait subir la partie défenderesse par l'imposition d'une servitude sur ses terres, ce qui aurait pu devenir pertinent, en l'espèce, ni sur les nuisances particulières pouvant toucher l'environnement du chemin Porc-Pic. 
[14] Plusieurs des commentaires de l'expert Gagné peuvent faire l'objet d'une plaidoirie ou d'une preuve, sans avoir à référer à un tel écrit. 
[15] À la fin de son rapport, l'évaluateur prend même la peine de souligner : « nous vous soumettons ces principales considérations qui peuvent être mises en pratique si requises », indiquant bien par là qu'il ne s'est pas penché sur le cas en litige et laissant aussi entendre que le document mérite un travail supplémentaire et est incomplet. 
[16] À notre avis, une saine administration de la justice exige d'écarter le rapport de l'évaluateur Gagné pour éviter ainsi les coûts d'une contre-expertise à la partie demanderesse. 
[17] Si la partie défenderesse veut réellement établir et chiffrer une perte de valeur de son terrain, elle devra le faire par un rapport d'évaluation basé sur les faits du litige après avoir obtenu l'autorisation de produire son rapport.

Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/KbMqRK

Référence neutre: [2012] ABD 161

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