vendredi 27 avril 2012

L'intervention immédiate des tribunaux en matière de poursuites-bâillon

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

L’adoption par le législateur québécois des articles 54.1 C.p.c. et suivants simultanément à l’abrogation des articles 75.1 et 75.2 a créé une situation particulière. En effet, les mêmes dispositions s’attaquent à deux problématiques différentes. D'un côté, le soucis de protéger la libre expression et éviter la censure via de l'intimidation judiciaire, de l'autre, la volonté de réduire l'abus procédural.

Cette démarche du législateur est définitivement louable, mais elle n’est pas sans causer des problèmes d’application. En effet, les mêmes principes ne sont pas nécessairement applicables aux deux cas. C’est pourquoi je me réjouis de la décision récemment rendue par la Cour d’appel dans Développements Cartier Avenue inc. c. Dalla Riva (2012 QCCA 431), où celle-ci confirme que l'approche traditionnelle prudente est nécessaire à l'égard du dernier objectif, mais qu’elle ne l'est pas dans le cadre de ce qui est potentiellement une poursuite-bâillon. Dans ce dernier cas, la Cour doit agir immédiatement.
Dans cette affaire, la Cour d'appel était saisie d'un pourvoi contre un jugement qui avait rejeté sommairement une action sur compte en vertu des articles 54.1 et suivants C.p.c. La juge de première en était venue à la conclusion que les documents déposés démontraient l'absence de recours valable pour l'Appelante.

Cette cause donne l'opportunité à la Cour d'appel de se prononcer sur la dualité contenue aux articles précités. En effet, opine la Cour, les mêmes règles de prudence ne s'appliquent pas dans toutes les situations. Dans le cadre d'une procédure manifestement mal fondée ou abusive, la Cour doit faire preuve de prudence et éviter de rejeter de manière préliminaire un recours à moins que son caractère mal fondé soit évident. Mais dans le cas d'une possible poursuite-bâillon, la Cour doit intervenir immédiatement.

L’Honorable juge Paul Vézina souligne d’abord la dualité d’objectif poursuivi par le législateur. Il indique que « les nouvelles dispositions poursuivent deux objectifs qui n’y sont pas nettement scindés, soit de prévenir les poursuites-bâillons, d’une part, et de sanctionner les abus de procédure, d’autre part ». Ce faisant, il en vient à la conclusion que les tribunaux doivent moduler leur intervention en fonction du type de comportement qui est reproché à une des parties.
[37] L’utilité et la nécessité des nouvelles dispositions se comprennent bien pour contrer efficacement les poursuites-bâillons. Elles sont un peu moins évidentes en rapport avec le second objectif de la nouvelle loi, celui de contrer de manière générale les abus de procédure de toutes autres sortes.
[38] Si une intervention rapide du tribunal est essentielle dans un cas de poursuite-bâillon, elle n’est tout de même pas aussi nécessaire, bien qu’utile, dans les cas où une action paraît « manifestement mal fondée » – une norme exigeante – frivole ou dilatoire.
[...]
[68] Confrontés à une poursuite-bâillon, ils doivent intervenir sans délai, mais dans le cas d’actions traditionnelles où il n’y a pas d’urgence, ils doivent se hâter lentement.
Voilà une approche logique qui cadre parfaitement avec les objectifs poursuivis par le législateur. Un excellent jugement de la Cour à mon avis.

Référence neutre: [2012] ABD 128

Une version du présent texte a été initialement publiée sur Droit Inc. (www.droit-inc.com).

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