Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
L’adoption par le législateur québécois des
articles 54.1 C.p.c. et suivants simultanément à l’abrogation des articles 75.1
et 75.2 a créé une situation particulière. En effet, les mêmes dispositions
s’attaquent à deux problématiques différentes. D'un côté, le soucis de protéger
la libre expression et éviter la censure via de l'intimidation judiciaire, de
l'autre, la volonté de réduire l'abus procédural.
Cette démarche du
législateur est définitivement louable, mais elle n’est pas sans causer des
problèmes d’application. En effet, les mêmes principes ne sont pas
nécessairement applicables aux deux cas. C’est pourquoi je me réjouis de la
décision récemment rendue par la Cour d’appel dans Développements Cartier Avenue inc. c. Dalla
Riva (2012 QCCA 431), où celle-ci confirme que l'approche
traditionnelle prudente est nécessaire à l'égard du dernier objectif, mais
qu’elle ne l'est pas dans le cadre de ce qui est potentiellement une
poursuite-bâillon. Dans ce dernier cas, la Cour doit agir immédiatement.
Dans cette affaire, la Cour d'appel était
saisie d'un pourvoi contre un jugement qui avait rejeté sommairement une action
sur compte en vertu des articles 54.1 et suivants C.p.c. La juge de première en
était venue à la conclusion que les documents déposés démontraient l'absence de
recours valable pour l'Appelante.
Cette cause donne l'opportunité à la Cour
d'appel de se prononcer sur la dualité contenue aux articles précités. En effet,
opine la Cour, les mêmes règles de prudence ne s'appliquent pas dans toutes les
situations. Dans le cadre d'une procédure manifestement mal fondée ou abusive,
la Cour doit faire preuve de prudence et éviter de rejeter de manière
préliminaire un recours à moins que son caractère mal fondé soit évident. Mais
dans le cas d'une possible poursuite-bâillon, la Cour doit intervenir
immédiatement.
L’Honorable juge Paul Vézina
souligne d’abord la dualité d’objectif poursuivi par le législateur. Il indique
que « les nouvelles dispositions poursuivent deux objectifs qui n’y sont pas
nettement scindés, soit de prévenir les poursuites-bâillons, d’une
part, et de sanctionner les abus de procédure, d’autre part ». Ce faisant,
il en vient à la conclusion que les tribunaux doivent moduler leur intervention
en fonction du type de comportement qui est reproché à une des parties.
[37] L’utilité et la nécessité des nouvelles dispositions se comprennent bien pour contrer efficacement les poursuites-bâillons. Elles sont un peu moins évidentes en rapport avec le second objectif de la nouvelle loi, celui de contrer de manière générale les abus de procédure de toutes autres sortes.
[38] Si une intervention rapide du tribunal est essentielle dans un cas de poursuite-bâillon, elle n’est tout de même pas aussi nécessaire, bien qu’utile, dans les cas où une action paraît « manifestement mal fondée » – une norme exigeante – frivole ou dilatoire.
[...]
[68] Confrontés à une poursuite-bâillon, ils doivent intervenir sans délai, mais dans le cas d’actions traditionnelles où il n’y a pas d’urgence, ils doivent se hâter lentement.
Voilà une approche logique qui cadre parfaitement avec les objectifs
poursuivis par le législateur. Un excellent jugement de la Cour à mon
avis.
Référence neutre: [2012] ABD 128
Une version du présent texte a été initialement
publiée sur Droit Inc. (www.droit-inc.com).
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