par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
La fin de non-recevoir est un moyen de contestation habituellement réservé à des situations exceptionnelles. Ce moyen est généralement fondé sur la mauvaise foi de la partie qui formule une réclamation, son comportement étant tel que les tribunaux jugent qu'elle ne doit pas être admise à avoir gain de cause. Or, dans l'affaire Propane Levac Propane inc. c. Matte (2011 QCCS 4916), l'Honorable juge Steve J. Reimnitz applique la fin de non-recevoir de manière plus large, étant d'opinion que, même en l'absence de mauvaise foi, la négligence prolongée de la partie demanderesse justifiait le rejet de sa demande.
Dans cette affaire, la Demanderesse, une entreprise de distribution de propane, poursuit les Défendeurs pour comptes impayés. Sa réclamation porte d'une part sur le solde dû selon les états de compte. Cette réclamation porte aussi sur des doubles crédits qu'elle aurait accordés aux Défendeurs par erreur sur une période de plusieurs années.
Dans cette affaire, la Demanderesse, une entreprise de distribution de propane, poursuit les Défendeurs pour comptes impayés. Sa réclamation porte d'une part sur le solde dû selon les états de compte. Cette réclamation porte aussi sur des doubles crédits qu'elle aurait accordés aux Défendeurs par erreur sur une période de plusieurs années.
Quant à cette deuxième partie de la réclamation, les Défendeurs opposent une fin de non-recevoir. En effet, selon eux, le comportement de la Demanderesse est tel que sa réclamation devrait être rejetée.
Le juge Reimnitz rappelle d'abord les principes de base en matière de fin de non-recevoir:
[136] Depuis l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Banque Nationale du Canada c. Soucisse, on reconnaît qu'un débiteur peut opposer une fin de non-recevoir au recours de son créancier lorsque ce dernier a adopté un comportement reprochable et n'a pas satisfait à son devoir de bonne foi :
« Une fin de non-recevoir rend une créance inefficace en empêchant un créancier fautif qui y a pourtant droit, en théorie, d'en exiger la satisfaction en justice. »
[137] Cette décision a été citée à plusieurs reprises entre autres dans Banque Nationale c. Couture. Dans cette affaire, on réfère au fondement de la fin de non-recevoir basée sur le comportement fautif de la partie contre qui la fin de non-recevoir est invoquée, souvent le créancier qui, compte tenu de son comportement, ne doit pas tirer avantage d'une faute commise au préjudice du débiteur.
[138] Dans Richter et associés c. Merrill Lynch Canada inc., la cour d'appel précise cette notion de fin de non-recevoir en ces termes :
« [57] Quant à elle, la doctrine québécoise s'est plutôt attachée au fondement de certaines fins de non-recevoir qu'elle associe à la sanction judiciaire du comportement fautif d'une partie :
Il s’agit en somme d’un instrument dont se sont dotés les tribunaux pour sanctionner un comportement répréhensible : le créancier ne doit pas être admis à tirer profit de sa mauvaise conduite.
Qualifier la fin de non-recevoir de « joker » du droit civil, permettant de « couper le jeu » lorsque l’application mécanique de certaines dispositions législatives entraînerait une solution jugée inéquitable par le tribunal.
La fin de non-recevoir sanctionne le comportement déloyal ou non coopératif par un refus de donner suite à la demande formulée par l’auteur même du problème.
La fin de non-recevoir permet donc au magistrat de rejeter une demande, par ailleurs bien fondée en droit, dans la mesure où c’est précisément le comportement hautement répréhensible du demandeur qui est à l’origine du litige. »
Pour le juge Reimnitz, la négligence de la Demanderesse, même en l'absence de mauvaise foi, s'assimile à un tel comportement et justifie l'application de la doctrine de la fin de non-recevoir:
[139] Dans le présent dossier, la fin de non-recevoir prend appui sur le comportement fautif et sur les erreurs à répétitions de la demanderesse dans le traitement des factures. Par son comportement fautif, la demanderesse met les défendeurs devant une situation où ils n'ont aucun choix. Les erreurs et fautes à la base de la demande relative au double crédit sont des erreurs de la demanderesse, puisqu'elle a choisi la façon dont elle allait payer les défendeurs et elle a presque quotidiennement examiné les factures et les a toutes approuvées.
[...]
[143] La demanderesse n'était pas une entreprise néophyte dans le domaine, elle œuvre depuis de nombreuses années dans ce secteur qu'est la livraison de gaz propane.
[144] Lorsqu'on établit les règles du jeu, on est mal venu d'invoquer que ces règles sont erronées.
[145] Devant un comportement aussi répréhensible de la demanderesse qui est à l'origine du présent litige, elle ne doit pas être admise à tirer profit de cette mauvaise conduite fautive.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/o0l7nP
Référence neutre: [2011] ABD 308
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