vendredi 27 mai 2011

La Cour supérieure a une compétence résiduaire pour entendre le recours d'un employé lorsque n'est pas disponible son recours relevant du devoir de représentation d'un syndicat sous le Code du travail

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Quel est le forum disponible pour un employé dont le seul recours en vertu de la Loi est indisponible en raison de la faute d'une tierce partie? C'est une des questions à laquelle répond la Cour d'appel dans l'affaire Syndicat de l'industrie du journal du Québec c. Lepage (2011 QCCA 952).


Les faits de cette affaire sont assez inusités. Pour cette raison, nous préférons citer verbatim l'énoncé fait par la Cour d'appel:
[9] Le syndicat appelant se pourvoit à l'encontre d'un jugement de la Cour supérieure qui a rejeté sa requête en irrecevabilité de la requête introductive d'instance. L'irrecevabilité aurait eu pour motifs l'absence de compétence ratione materiae de la Cour supérieure et la prescription du recours entrepris contre le syndicat par l'intimé.
[10] Le contexte est le suivant : l'intimé est un ex-employé du journal La Presse et a occupé un emploi de pressier chez cet employeur de 1984 à 2003. En 2003, l'employeur a décidé de cesser d'imprimer son quotidien et a confié cette tâche en sous-traitance. Il a alors offert à l'intimé une somme forfaitaire de 167 000 $ ou un emploi à titre de distributeur.
[11] Je poursuis avec l'énoncé des faits de la première juge :
[3] M. Lucien Lepage occupe un poste de presseur auprès du journal La Presse (l'employeur) depuis 19 ans.
[4] Il fait partie de l'unité de négociation représentée par le Syndicat de l'industrie du journal du Québec inc. et ses conditions de travail sont régies par la convention collective conclue entre l'employeur et le syndicat.
[5] En 2003, à la suite d'une restructuration organisationnelle, l'employeur abolit le poste de M. Lepage et lui offre le choix entre une prime de départ ou un poste de distributeur. M. Lepage opte pour le poste de distributeur.
[6] Dès le début, M. Lepage constate qu'il ne peut occuper ce poste en raison de son état de santé.
[7] Sur les conseils de son syndicat, M. Lepage ne se présente pas au travail et réclame une indemnité d'assurance-salaire. La compagnie d'assurance refuse la réclamation et l'employeur confirme cette décision.
[8] À la demande de M. Lepage, le syndicat dépose finalement le grief. L'arbitre décide qu'il est trop tard : le délai est prescrit.
[9] Croyant que le délai pour déposer un grief à l'encontre de la décision de l'employeur de refuser l'indemnité d'assurance-salaire était de deux ans, le syndicat conseille alors à M. Lepage de poursuivre ses démarches auprès de l'assureur et de déposer un deuxième grief.
[10] Le syndicat assiste M. Lepage dans cette démarche et défraie le coût des expertises médicales déposées au soutien de ce deuxième grief. En fin de compte, le syndicat constate que cette démarche ne peut réussir et retire lui-même ce grief. Le syndicat en avise M. Lepage en août 2007 en lui précisant que désormais, il ne le représente plus.
[11] M. Lepage intente la présente procédure. Il reproche au syndicat son attitude désinvolte, son manque de diligence et de rigueur, sa négligence grave ainsi que ses mauvais conseils qui ont entraîné la perte de ses droits. […]
[12] La situation de l'intimé a donc de particulier que le droit du travail ne peut plus lui être d'aucun secours, selon ses prétentions, en raison de la négligence évidente du syndicat [...].
Ainsi donc, en vertu de la Loi, le seul recours ouvert au syndiqué est celui prévu par la convention collective, mais ce droit d'action est maintenant perdu en raison des agissements allégués du syndicat. Est-ce dire que le syndiqué n'a aucun recours?

La Cour d'appel répond par la négative à cette question. À cet effet, l'Honorable juge Nicole Duval Hesler cite l'existence du pouvoir résiduaire de la Cour supérieure:
[19] Il va de soi que les tribunaux doivent respecter le vœu législatif de soumettre les différends en droit du travail à une procédure souhaitée plus expéditive et, par conséquent, d'exclure la compétence des tribunaux de droit commun dans un cas de cette nature. Toutefois, ainsi que le faisait remarquer mon collègue le juge Brossard dans l'affaire Dupuis, précitée, que cite le jugement de première instance au paragraphe 17, il répugne de penser que si l'action en dommages-intérêts de l'intimé était rejetée pour cause d'irrecevabilité fondée sur une question de compétence, cela constituerait la troisième fois que l'appelant verrait ses procédures rejetées sans même avoir eu l'opportunité de débattre du fond de la question. Tout comme mon collègue Brossard et la juge de première instance, j'y vois une injustice.
[20] Il me semble que l'état du droit est que si l'employé/e n'a aucun recours disponible sous le Code du travail dans une affaire qui relève du devoir de représentation d'un syndicat sous l'article 47.2 du Code du travail, la compétence résiduaire de la Cour supérieure subsiste, dans ce cas exceptionnel.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/kJS8iL

Référence neutre: [2011] ABD 179

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