par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.
Les contributeurs au Blogue ont souvent traité de l'importance, à la lumière des articles 54.1 C.p.c. et suivants, de faire la distinction entre les procédures manifestement mal fondées et les procédures abusives (voir, par exemple, http://bit.ly/bVnaYK). Si il est possible que des procédures manifestement mal fondées soient abusives, c'est loin d'être un automatisme. La récente décision de la Cour supérieure dans Grenier c. 2165-1146 Québec Inc. (2011 QCCS 916) illustre bien ce propos.
Pour nos fins, les faits de l'affaire ne revêtent pas une grande importance. Il suffit de noter que le litige oppose le Demandeur à sa voisine, une personne morale, qui est propriétaire d'une rue du Domaine Mackenzie et à trois de ses résidants. Dans le cadre des procédures, chaque partie accuse l'autre d'avoir abusé des procédures et demande le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires.
Pour nos fins, les faits de l'affaire ne revêtent pas une grande importance. Il suffit de noter que le litige oppose le Demandeur à sa voisine, une personne morale, qui est propriétaire d'une rue du Domaine Mackenzie et à trois de ses résidants. Dans le cadre des procédures, chaque partie accuse l'autre d'avoir abusé des procédures et demande le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires.
L'Honorable juge François Tôth saisi l'occasion pour remettre les pendules à l'heure sur ce type de réclamation et rappelle que l'existence de procédures manifestement mal fondées ne suffit pas. Il fait démontrer la mauvaise foi ou, à tout le moins, la témérité dans les actions de la partie ainsi accusée:
[184] Les parties s'accusent mutuellement d'abus de droit et se réclament leurs honoraires extrajudiciaires.
[185] Les principes juridiques applicables ont été bien expliqués dans l'arrêt de la Cour d'appel dans l'affaire Viel c. Les entreprises immobilières du terroir ltée. Il s'agit probablement de l'arrêt le plus cité et le plus mal compris de nos annales jurisprudentielles.
[186] La Cour d’appel a précisé, dans l’affaire Royal Lepage commercial inc. c. 109650 Canada Ltd, après avoir rappelé les enseignements de l'arrêt Viel, que :[5] Pour conclure en l’abus, il faut donc des indices de mauvaise foi (telle l’intention de causer des désagréments à son adversaire plutôt que le désir de faire reconnaître le bien-fondé de ses prétentions) ou à tout le moins des indices de témérité.
[6] Que faut-il entendre par témérité? Selon moi, c’est le fait de mettre de l’avant un recours ou une procédure alors qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans les circonstances connues par la partie au moment où elle dépose la procédure ou l’argumente, conclurait à l’inexistence d'un fondement pour cette procédure. Il s’agit d’une norme objective, qui requiert non pas des indices de l’intention de nuire mais plutôt une évaluation des circonstances afin de déterminer s’il y a lieu de conclure au caractère infondé de cette procédure. Est infondée une procédure n’offrant aucune véritable chance de succès, et par le fait, devient révélatrice d’une légèreté blâmable de son auteur. Comme le soulignent les auteurs Baudouin et Deslauriers, précités : « L’absence de cette cause raisonnable et probable fait présumer sinon l’intention de nuire ou la mauvaise foi, du moins la négligence ou la témérité ».[187] Le demandeur reconnaît lui-même que 2165 avait l'intérêt requis s'adresser au Tribunal pour faire déterminer son droit de clore. Il y avait matière à débat.
[188] Le fait qu’une procédure soit mal fondée n’en fait pas ipso facto une procédure abusive au sens de l’article 54.1 C.p.c. Il faut se garder des automatismes.
[189] Une procédure mal fondée sera rejetée, généralement avec dépens. Pour déclarer de plus que cette procédure est abusive ou qu’il y a abus d’ester en justice, le Tribunal doit être convaincu que la conduite de la partie, à qui l’on fait ce reproche, est elle-même abusive, outrageante, répréhensible, équivalente à de la mauvaise foi ou qu’elle démontre une « légèreté blâmable ».
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/fsJmEs
Référence neutre: [2011] ABD 76
Autres décisions citées dans le présent billet:
1. Viel c. Les entreprises immobilières du terroir ltée, J.E. 2002-937 (C.A.).
2. Royal Lepage commercial inc. c. 109650 Canada Ltd., J.E. 2007-1325 (C.A.).
Il semble y avoir une erreur dans le titre du billet: "manifestation" ne devrait-il pas se lire "manifestement"?
RépondreEffacerVous avez bien raison. Merci d'avoir attiré notre attention sur cette erreur.
RépondreEffacerBonne journée,
Karim Renno
Bonjour Karim,
RépondreEffacerÉtant parmi les contributeurs du blogue qui affectionnent particulièrement les articles 54.1-54.6 C.p.c., je me permets la réflexion suivante, que je te soumets fort respectueusement.
Il me semble que la Cour a ici conclu que l'action était mal fondée, mais que cela n'était pas "manifeste", tel qu'il ressort du paragraphe 187 de la décision.
Dans ces circonstances, je ne crois pas qu'on puisse dire de cette décision qu'elle permet de conclure qu'"Une action manifestment mal fondée n'entraîne pas nécessairement une déclaration d'abus" ou que "l'existence de procédures manifestement mal fondées ne suffit pas. Il fait démontrer la mauvaise foi ou, à tout le moins, la témérité dans les actions de la partie ainsi accusée".
Il m'apparaît que la décision enseigne plutôt que : "Le fait qu’une procédure soit mal fondée n’en fait pas ipso facto une procédure abusive au sens de l’article 54.1 C.p.c.", comme en témoigne le paragraphe 188.
J'irais même jusqu'à proposer que c'est justement le caractère "manifeste" du fait que l'action est mal fondée qui permet de conclure à la témérité selon les critères de l'arrêt Royal Lepage. En ce sens, je te ramène à la publication suivante : http://www.blogueducrl.com/2010/10/dans-certaines-conditions-lintroduction.html#more.
De là à définir ce qui est "manifeste" et ce qui ne l'est pas, c'est un terrain miné où je ne m'aventurerai pas...
Si je comprends bien, la divergence entre MHB et Karim tient à l'existence ou non d'une différence de degré entre "manifestement mal fondé" et "téméraire" et à savoir si cette différence est déterminante? MHB prétend donc que ces deux expressions s'équivalent?
RépondreEffacerJ'admet m'être exprimée un peu vite, sans avoir fait toutes les nuances qui s'imposent. Donc, pour répondre à la question du lecteur anonyme : non, je ne crois pas que les deux expressions s'équivalent.
RépondreEffacerJe ne me lancerai pas dans une étude sur ce qui constituerait une action "manifestement mal fondée" quand on est au stade préliminaire du dossier, ou ce qui devrait être perçu comme une procédure abusive qui justifierait l'imposition de quelque sanction à ce stade. Je m'en tiendrai à la constatation suivante : l'article 54.1, 2e al. C.p.c. prévoit effectivement que l'action "manifestement mal fondée" n'est pas nécessairement abusive et donc qu'elle n'est pas nécessairement téméraire.
Cependant, lorsqu'on rejette un recours sur le fond, après procès, la seule sanction qui demeure à être prononcée est la condamnation aux dommages-intérêts (ou encore la déclaration de quérulence, ce qui est une autre histoire) de sorte que la déclaration d'"abus de procédures" n'a d'autre fonction que de donner ouverture à cette condamnation. Dans ce cas, ce sont les critères de Viel et de Royal Lepage qui s'appliquent, et il me semble qu'il est clair qu'une action simplement mal fondée ne remplit pas le degré de faute nécessaire pour justifier une déclaration d'abus de procédures à ce stade. Si, toutefois, le Tribunal arrivait à dire, toujours à ce stade, que l'action était tellement "manifestement" mal fondée qu'aucun procès n'était nécessaire, il me semble que cela équivaudrait dans les faits au critère de la témérité formulé dans Royal Lepage, puisque la personne raisonnable n'aurait pas intenté un procès inutile.
En espérant que ça clarifie un peu ma position...