mercredi 5 janvier 2011

Dans certaines circonstances, il sera permis à un témoin ordinaire d'émettre une opinion

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

La formulation de la règle de principe est simple: seul un témoin expert peut rendre un témoignage d'opinion devant les tribunaux. Par ailleurs, l'application de ce principe dans certains cas limitrophes est plus difficile. C'est pourquoi les tribunaux font parfois preuve de souplesse sur la question. La récente décision de la Cour du Québec dans Pétrifond Fondation compagnie ltée c. Construction GMR inc. (2010 QCCQ 11617) en est une belle illustration.


Dans cette affaire, la partie demanderesse réclame de la Défenderesse la somme de 31 223,71$ avec intérêts au taux légal ainsi que l'indemnité additionnelle représentant le solde d'un compte suite à des travaux qu'elle a exécutés. La Défenderesse conteste au motif que les travaux n'ont pas été exécutés conformément aux règles de l'art et elle formule elle-même une réclamation pour le coût des correctifs apportés à l'ouvrage.

Au support de ses prétentions, la Défenderesse fait entendre un témoin expert. Aucune contre-expertise n'est produite par la Demanderesse, mais celle-ci, en contre-preuve, demande à son représentant de commenter certaines des hypothèses formulées par l'expert en défense. Se basant sur le principe voulant que seuls les témoins experts puissent rendre un témoignage d'opinion, la Défenderesse s'oppose à cette preuve.

L'Honorable juge Richard Laflamme indique d'abord que ce principe a été assoupli par les tribunaux dans certaines situations:
[22] Lemieux témoigne à nouveau lors de la preuve en défense reconventionnelle. La procureure de GMR formule une objection à ce que Lemieux commente les hypothèses émises par l'expert puisqu'il n'a pas été déclaré témoin expert. L'objection prise sous réserve lors de l'audition est tranchée de la façon suivante.
[23] Il est vrai que le témoin n'a pas été déclaré expert. L'article 2843 C.c.Q. édicte que ''le témoignage est la déclaration par laquelle une personne relate les faits dont elle a eu personnellement connaissance ou par laquelle un expert donne son opinion''. En principe, le témoignage d'opinion est réservé à l'expert et les exigences de l'article 402.1 C.p.c. doivent être respectées. Toutefois, les tribunaux ont assoupli judicieusement cette règle. Le Tribunal fait siens les commentaires du juge Banford dans 840182 Ontario Inc. c. Dion:
En principe, le témoin ordinaire ne peut déposer devant le tribunal que sur les faits dont il a personnellement connaissance. Toutefois, les tribunaux ont atténué la rigueur de la règle et reconnu que certaines circonstances pouvaient donner ouverture à des exceptions, notamment lorsque l'opinion du témoin se fonde sur des faits dont il possède une connaissance personnelle et sont en relation directe et logique avec la preuve établie par les faits.
[24] La Cour suprême, sous la plume du juge Dickson, écrivait ce qui suit dans R. c. Abbey:
Les témoins déposent quant aux faits. Le juge ou le jury tire des conclusions à partir des faits. [TRADUCTION] «Dans le droit de la preuve, «opinion» s'entend de toute conclusion qu'on tire d'un fait observé, et le droit dans ce domaine dérive de la règle générale selon laquelle les témoins doivent uniquement parler de ce qu'ils ont observé directement» (Cross on Evidence, précité, à la p. 442). Lorsqu'il est possible de séparer les faits des conclusions tirées de ces faits, le témoin ne peut témoigner que sur les faits. Toutefois, cela n'est pas toujours possible et [TRADUCTION] «le droit fait preuve de souplesse dans ces cas limites en permettant aux témoins d'exprimer leur opinion relativement à des questions qui n'exigent pas de connaissances particulières, chaque fois qu'il leur serait virtuellement impossible de séparer leurs conclusions des faits sur lesquels celles-ci se fondent» .
Il note ensuite que le témoin en question est ingénieur et que les hypothèses qu'on lui demande de poser sont inextricablement liées aux faits en l'espèce:
[25] En l'espèce, Lemieux témoigne essentiellement sur les faits entourant chacune des hypothèses proposées par l'expert, ce qui est admissible. Il explique pourquoi il rejette ces hypothèses. Certes, il s'agit d'un témoignage à la limite de celui d'opinion. Toutefois, il est difficile, sinon virtuellement impossible, de séparer les faits des conclusions tirées de ces faits. Les calculs de la résistance du mur sont au cœur du litige. Les calculs de Lemieux ont été déposés en preuve et examinés par l'expert. Ces calculs constituent un acte factuel commis pour la préparation des plans et devis. Il faut se rappeler que Lemieux est ingénieur également et, par surcroît, il est le concepteur des plans et devis du mur. Il peut certainement témoigner des calculs effectués aux fins de la préparation de ses plans. Ne serait-ce que pour ce motif, l'objection est rejetée et le témoignage de Lemieux sur les faits entourant la conception et ceux en lien direct et logique avec les hypothèses de Landry sont admissibles en preuve.
[26] Le Tribunal estime que le témoignage de Lemieux en défense reconventionnelle s'est limité à ce cadre.
Pour cette raison, le juge Laflamme permet la preuve.

Référence: [2011] ABD 5

Autre décision citée dans le présent billet:

1. 840182 Ontario Inc. c. Dion, J.E. 93-1333 (C.S.).

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