mardi 7 décembre 2010

On peut effectuer une saisie avant jugement dans un recours en inopposabilité, encore faut-il établir une crainte objective

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

La saisie avant jugement est un instrument puissant pour assurer l'exécution d'un jugement à venir. Par ailleurs, les conditions d'obtention d'une telle saisie sont sévères. La décision récente de la Cour supérieure édicte, dans 3028879 Canada Inc. c. Malette (2010 QCCS 5753), que bien que l'on puisse greffer une saisie avant jugement à une action en inopposabilité, encore faut-il alléguer des faits qui permettent d'établir une crainte objective.


Dans cette affaire, l'Honorable juge François Tôth doit décider de la validité des saisies avant jugement pratiquées par la Demanderesse dans le cadre d'une action en inopposabilité.

Le juge Tôth commence par confirmer clairement que l'on peut greffer une saisie avant jugement à une action en inopposabilité:
[37] Il est indubitablement possible de greffer une saisie avant jugement à une action en inopposabilité.
[38] Le Code de procédure civile prévoit :
733. Le demandeur peut, avec l'autorisation d'un juge, faire saisir avant jugement les biens du défendeur, lorsqu'il est à craindre que sans cette mesure le recouvrement de sa créance ne soit mis en péril.
[39] La saisie avant jugement est une procédure exceptionnelle puisque normalement, un demandeur qui poursuit un défendeur doit obtenir un jugement final avant de pouvoir saisir ses biens. La saisie avant jugement permet de mettre sous main de justice les biens saisis avant qu'un tribunal n'ait décidé du bien-fondé de la réclamation.
[40] L'autorisation du juge prévue à l'article 733 C.p.c. est accordée ex parte c'est-à-dire sans que la réquisition ne soit signifiée au défendeur et sans qu'il ne soit présent pour faire valoir son point de vue.
[41] Dans les cinq jours de la signification du bref de saisie avant jugement, le défendeur peut demander l'annulation de la saisie notamment en raison de l'insuffisance des allégations de l'affidavit sur la foi duquel le bref a été délivré (article 738 C.p.c.). Bien entendu, le juge qui entend une requête en annulation de saisie avant jugement ne décide aucunement du bien-fondé de l'action principale qui suivra son cours et qui sera tranchée par le Tribunal après une preuve complète. Ainsi à ce stade, il ne s'agit pas pour le Tribunal de décider si les donations sont frauduleuses ou faites au préjudice des droits de 302.
[42] Les conditions d'ouverture du recours en inopposabilité ne sont pas les mêmes que celles de la saisie avant jugement.
[43] La saisie avant jugement sera maintenue si les faits allégués démontrent de la part du débiteur une « conduite suivie ou persistante » faisant craindre que le recouvrement de la créance de la demanderesse soit en péril. Par exemple,
· une omission généralisée du débiteur d'honorer ses obligations,
· des actes de disposition causant ou aggravant l'insolvabilité du débiteur,
· une conduite déloyale du débiteur indiquant un désir de se soustraire à ses obligations,
· des actes précis visant à soustraire ses biens aux recours normaux de ses créanciers.
Par ailleurs, les allégations faites au soutien de l'action en inopposabilité, si elle peuvent justifier l'annulation d'une transaction, ne sont pas nécessairement suffisantes pour établir une crainte objective que le débiteur agit de manière à mettre le recouvrement de la créance en péril. À cet égard, il importe d'alléguer des faits propres à la saisie:
[54] Il n'y a aucune preuve ni allégation de faits reprochables aux fiduciaires qui seraient contemporains à la réquisition faite en 2010 (paragr. 57 a) et b) de l'affidavit). C'est à ce moment que le Tribunal doit se placer pour apprécier la suffisance de l'affidavit du saisissant.
[55] Il n'y a eu aucune autre disposition de biens depuis 2006. Rien ne laisse croire que les fiduciaires s'apprêtent à disposer du patrimoine fiduciaire qu'ils administrent depuis 2006[27]. Il n'y a aucune allégation précise que les fiduciaires s'apprêtent à poser d'autres gestes pour mettre en péril le recours en inopposabilité de 302 sauf l'allégation générale (paragraphe 60) qui constitue plus une opinion qu'un fait objectif.
[56] La tentative de Gaston Malette de faire dérailler le procès en révoquant le mandat de son avocat a fait long feu puisqu'elle a été rejetée instanter par le juge Dumas (paragr. 57 c) de l'affidavit).
[57] Le fait que Gaston Malette en ait appelé du jugement rendu contre lui n'est pas un acte qui peut faire craindre objectivement à la demanderesse qu'elle ne pourra pas exécuter contre lui un éventuel jugement final en sa faveur (paragr. 57 d) de l'affidavit) . Il n'existe non plus aucune disposition légale qui oblige Gaston Malette à fournir une garantie de paiement du jugement rendu contre lui (paragr. 57 e) de l'affidavit). Cela ne peut constituer un fait établissant une crainte objective. Pour le reste, il n'y a aucune allégation précise pour soutenir le paragraphe 59 de l'affidavit selon laquelle « Gaston Malette persiste toujours à poser des gestes qui sont préjudiciables à la demanderesse ».
[58] Encore une fois, les faits qui peuvent justifier d'intenter un recours en inopposabilité ne justifient ipso facto une saisie avant jugement.
À la lumière de ces principes, le juge Tôth casse la saisie avant jugement.

Référence: [2010] ABD 185

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