jeudi 9 décembre 2010

La mauvaise foi d'une partie ne peut avoir pour effet de changer les termes d'un contrat

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Depuis l'entrée en vigueur du Code civil du Québec, et particulièrement de ses articles 6, 7 et 1375, la bonne foi (et les allégations de mauvaise foi) prend une place encore plus importante dans les relations contractuelles. Espérant pousser l'importance de la bonne foi plus loin, plusieurs plaideurs ont tenté de convaincre les tribunaux qu'en l'absence de bonne foi il fallait conclure à certaines modifications implicites au contenu d'un contrat. Or, dans Haddad c. Groupe Jean Coutu (PJC) Inc. (2010 QCCA 2215), la Cour d'appel vient réitérer encore une fois que, même en l'absence de bonne foi, les tribunaux ne peuvent passer outre le langage clair d'un contrat.


Un pharmacien d’expérience de Sherbrooke, l’Appelant, est aussi propriétaire d’un immeuble commercial qu’il loue à une grande bannière de pharmaciens du Québec, l’Intimée. L'Appelant, locateur, s’engage dans le bail à ne pas faire concurrence aux éventuels pharmaciens franchisés de sa locataire, et ce, pour la durée du bail. De plus, comme propriétaire, il accorde à sa locataire PJC, une « servitude » de non-concurrence au même effet. Quelques années plus tard, l'Intimée achète l’immeuble de l'Appelant. Les obligations du bail sont alors éteintes pour cause de confusion, les qualités de locateur et locataire étant maintenant réunies dans une seule et même personne. La question qui se posait dans cette affaire était de savoir si les obligations de non-concurrence qui liaient le locateur pouvaient survivre à l’extinction du bail.

Après en être venue à la conclusion que l'extinction du bail par voie de confusion entraîne l'extinction des obligations de non-concurrence, puisque la clause de non-concurrence était stipulée être valide pour la durée de l'entente seulement, la Cour se penche sur l'argument basé sur la mauvaise foi alléguée de l'Appelant. La Cour résume ainsi la prétention de l'Intimée et les propos du juge de première instance:
[81] Le premier juge retient, à titre subsidiaire, que M. Haddad a contrevenu aux exigences de la bonne foi imposées aux articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. et, par conséquent, que celui-ci ne peut se défaire des obligations de non-concurrence. Selon le juge, M. Haddad n'a pas dit toute la vérité lorsqu'il a affirmé qu'au moment des négociations avec Brunet en 2001 et 2002, il avait oublié l'existence de la clause de préemption contenue dans le contrat de franchise le liant à PJC. Le juge estime que la construction inutile, par PJC, d'un édifice commercial devant servir de pharmacie est la conséquence de la mauvaise foi de M. Haddad. Il conclut que la démarche judiciaire de M. Haddad, pour faire déclarer sans effet les clauses pénales et de non-concurrence consignées aux contrats de 2002 et de 2004, ne satisfait pas les exigences de la bonne foi.
[82] Compte tenu de son comportement en 2001 et 2002, l'action en justice qu'il a intentée le 26 septembre 2006 doit être considérée comme excessive et déraisonnable, selon le juge, et menée en vue de nuire à PJC. M. Haddad n'aurait pas le droit, à la suite de cet abus, d'être libéré des clauses de non-concurrence en profitant de la conséquence juridique imprévue de la confusion.
[83] Le juge s'explique au paragraphe de ses motifs comme suit :
[98] […] Ayant reçu du Groupe Jean Coutu ou ses nouveaux franchisés des sommes importantes pour sa pharmacie en 2002, soit 1 463 000 $, et pour sa bâtisse en 2006, soit 3 400 000 $, le demandeur abuse de ses droits en demandant d'être libéré des clauses restrictives l'empêchant d'opérer une pharmacie sur la rue King Est, à Sherbrooke, jusqu'en 2012. Il a troqué l'encaissement d'un loyer annuel de 225 000 $ indexé garanti jusqu'en 2012 pour un capital de 3 400 000 $. Rien ne l'empêche d'opérer une pharmacie ailleurs que sur la rue King, à l'Est de la rivière Saint-François.
[84] Pour le juge, la mauvaise foi de M. Haddad fait en sorte qu'il reste tenu aux obligations de non-concurrence et à la clause pénale jusqu'au 31 mars 2012.
La Cour d'appel exprime son désaccord et rappelle que la mauvaise foi d'une partie contractante, présumant qu'elle soit prouvée, ne peut avoir pour effet de changer les termes du contrat. Or, puisque la clause de non-concurrence n'avait effet que pour la durée du contrat et que celui-ci est éteint, le comportement de l'Appelant ne pouvait avoir d'incidence sur la question:
[85] Avec égards, je ne crois pas qu'une violation des articles 6, 7 et 1375 C.c.Q., même prouvée, puisse justifier le prolongement des effets des clauses de non-concurrence qui sont, par ailleurs, éteintes. Le comportement de M. Haddad en 2001 et 2002 n'est pas une fin de non-recevoir à sa demande de jugement déclaratoire visant à déterminer les conséquences de la vente de l'immeuble survenue en 2006. PJC invoque les effets d'un comportement qui remonte à environ quatre ans avant les faits donnant lieu à la confusion afin de justifier sa propre erreur, en 2006, d'avoir omis de consigner une nouvelle clause de non-concurrence dans l'acte de vente intervenu avec M. Haddad.
[86] Le juge semble attacher des effets au comportement déloyal de M. Haddad même si PJC n'en a souffert aucun préjudice direct en 2006 au moment où, conseillée par des avocats, elle choisit de mettre fin au bail en devenant propriétaire de l'immeuble. Est-ce que M. Haddad cherche à profiter abusivement d'une situation non prévue par les parties ? Ce n'est certes pas évident : on dirait plutôt que l'acquisition éventuelle de l'immeuble, et la confusion qui s'ensuivrait, était parfaitement prévisible pour des parties ayant l'expérience en affaires de M. Haddad et PJC.
Commentaire:

Cette décision de la Cour d'appel s'inscrit dans un courant constant tel qu'illustré par les affaires Slush Puppie et Automobiles Jalbert. Dans la première, la Cour supérieure se prononcait ainsi:

Slush Puppy a tenté de convaincre le Tribunal que son projet de contrat pour l’an 2000 était une bonne affaire et que Couche-Tard aurait dû le signer.  En fait, le pouvoir de fixer le prix de détail est apparu comme un facteur de négociation déterminant pour chacune des deux parties.  Cela explique pourquoi elles ne sont pas parvenues à s’entendre.  Il n’appartient pas au Tribunal de contraindre une partie à contracter avec une autre alors que leur contrat à durée indéterminée est venu à échéance et n’a pas été renouvelé.
De la même façon, dans Automobiles Jalbert, la Cour d'appel enseignait que:
[142] Quant à l'obligation d'agir de bonne foi et équitablement, celle-ci ne saurait changer les termes du contrat liant les parties et créer une obligation de renouvellement, pour l'éternité, alors que le contrat comporte un terme et est totalement muet quant à un éventuel renouvellement. 
[143] Il n'est pas inutile de préciser ici que le contrat en vigueur, c'est-à-dire celui qui lie les parties à la suite de l'arrêt de cette Cour du 18 juillet 2001 et que le jugement entrepris déclare devoir se continuer, sauf pour cause, jusqu'au 31 décembre 2012, est le contrat de concession original signé le 14 février 1993, tel qu'amendé par les lettres des 7 et 8 avril 1999. Or, ce contrat ne contient pas de clause concernant son renouvellement, comme on en retrouve dans le « Automobile Retailer Agreement » (clause 11.7) que Automobiles Jalbert a refusé de signer. La prétention de celle-ci voulant que la substance de la clause 11.7 soit incluse au contrat original en raison d'un passage de la lettre du 7 avril 1999 ([…] and you will be then on the same basis for further contract renewals as other retailers in good standing) ne tient pas. La Cour estime que ce passage ne traite que de la durée du contrat, advenant son renouvellement. Le « Automobile Retailer Agreement », par opposition à l'ancien « Dealership Agreement » (comme celui signé par les parties le 14 février 1993), prévoit une durée de trois ans; toutefois, en raison de certains problèmes que BMW Canada disait voir, l'offre à Automobiles Jalbert parlait d'un terme de deux ans tout en soulignant qu'une fois les problèmes corrigés, le concessionnaire de Québec serait « on the same basis » que les autres en ce sens qu'il aurait droit aux mêmes périodes de renouvellements que ceux-ci. 
[144] Dans Esmail c. Petro-Canada, [1995] O.J. No 924, le juge Spence écrit, aux paragraphes 222-224 :
To say that Petro-Canada had an obligation to act in good faith in these circumstances is to say, in effect, that it had an obligation to exercise its right to make a renewal offer, i.e., that it had an obligation to offer renewal, unless it had good faith reasons not to do so. This appears to me to involve an extension of the principle of good faith beyond its current application by the courts. Typically, with respect to rights of termination, the principle of good faith operates as a limitation on the exercise of a right: i.e. although the right exists, it cannot be exercised in bad faith. In the present case, the principle of good faith would, if applied, operate not to limit the exercise of a right but to convert a right into an obligation. The cases to which counsel referred did not involve such an application of the good faith principle, except for one New Jersey case mentioned below which involved special statutory considerations not applicable here.

The distinction between limiting a right and converting a right into an obligation seems to me to be of special importance in the context of the agreement that is in issue in the present case. It is understandable that, in some dealer relationships, the reasonable expectation to be drawn from an agreement that renews automatically unless terminated is that the agreement will not be terminated in bad faith. Such a reasonable expectation would constitute a very persuasive reason to insist on the application of the good faith principle.

The tenor of the agreement in this case is however significantly different from such an automatically renewing contract. Here, it is clear that the agreement (subject to the operation of other provisions) is to terminate on March 31, 1995. It is a one year agreement. There is no automatic renewal prevision. There is no provision requiring Petro-Canada to negotiate with the dealer about renewal. There is no provision requiring that any particular terms be offered in any proposed renewal.
[145] Si une partie manque à son obligation d'agir de bonne foi et de manière équitable, le remède final consiste donc en l'octroi de dommages-intérêts en faveur de la partie frustrée et non en la réécriture du contrat et en la création d'une obligation contractuelle qui n'existe pas dans le contrat sur lequel les parties s'étaient entendues (McKinlay Motors Ltd. c. Honda Canada Inc., [1989] N.J. No 332).

[146] La décision du constructeur de ne pas renouveler le contrat de concession, sans invoquer de raison à l'appui de sa décision, ne va pas nécessairement contre le devoir de ce dernier d'agir de bonne foi et de façon équitable. Cette obligation implicite d'agir de bonne foi et de façon équitable ne peut pas, et ne doit pas, avoir pour effet de rendre caduques les règles contractuelles. Le principe de la bonne foi est plutôt pertinent à la longueur du délai et joue même, selon les circonstances, contre une résiliation intempestive du contrat.

[147] Il est possible, voire probable, que le principe de la bonne foi dans les relations contractuelles oblige implicitement le franchiseur, sous peine de dommages-intérêts, à renouveler durant un certain temps des contrats à court terme lorsque le franchisé investit des sommes importantes dans l'entreprise (ce commentaire ne s'applique toutefois pas en l'instance puisque le contrat de concession de Jalbert Québec est en cours depuis fort longtemps). Mais entre cette conséquence et l'existence d'une obligation de renouvellement à perpétuité du contrat, sauf s'il existe une cause bien précise d'y mettre fin, il y a une marge que la Cour n'est pas prête à franchir.
Référence: [2010] ABD 189 

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