mercredi 10 novembre 2010

Provision pour frais en cas d'abus: la Cour d'appel réitère l'importance pour la partie requérante de démontrer qu'elle est dépourvue de ressources financières

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Même si, à plusieurs égards, l'entrée en vigueur des articles 54.1 C.p.c. et suivants est venue changer l'état du droit pour donner à la magistrature plus de pouvoirs de sanction, elle n'a pas pour autant changer les critères d'attribution d'une provision pour frais. C'est là l'enseignement de la Cour d'appel dans Eden Palace Inc. c. Dinard (2010 QCCA 2015), un jugement rendu vendredi dernier.


Dans cette affaire, la juge de première instance a jugé que les Appelants avaient commis un abus dans la conduite des procédures par leur retard et leurs réticences à fournir les informations et les documents visés aux engagements qu’ils avaient souscrits et par l’imprécision de leurs réponses. Elle a accordé aux intimés une provision pour frais de 15 000 $ au titre de la sanction de l’abus.

En appel, la Cour n'intervient pas quant à la déclaration d'abus, ajoutant qu'il s'agit essentiellement d'une question d'appréciation des faits, laquelle demeure du domaine privilégié du juge de première instance:
[2] Les appelants ne démontrent aucune erreur manifeste et dominante dans le constat de la juge de première instance que leurs réticences à répondre et les imprécisions de leurs réponses constituaient un cas d’abus justifiant l’exercice de son pouvoir de le sanctionner. La détermination de ce qui constitue un abus au sens des articles 54.1 et suivants relève avant tout de l’appréciation de la preuve, le domaine privilégié d’expertise du juge d’instance qui commande une grande déférence.
Par ailleurs, sur la question de la provision pour frais, la Cour d'appel est d'opinion que le jugement de première instance était mal fondé. Les Honorables juges Morissette, Giroux et Gagnon rappellent qu'en matière de provision pour frais, le fardeau repose sur les épaules de la partie requérante qui doit démontrer l'épuisement de ses ressources financières:
[4] Sans se prononcer sur la question de savoir si les circonstances de l’abus constaté justifiaient l’octroi de cette sanction spécifique, la Cour est d’avis, qu’en l’espèce, la preuve administrée relativement au second critère du paragraphe 5 du second alinéa de l’article 54.3 C.p.c. n’était pas suffisante pour permettre à la juge d’accorder le remède de l’octroi d’une provision pour frais.
[5] Dans l’arrêt Cosoltec inc., le juge Dalphond note que l’article 54.3 , al. 2 (5) C.p.c. codifie l’arrêt Hétu c. Notre-Dame de Lourdes (Municipalité) rendu sous l’autorité de l’article 46 C.p.c. La Cour décidait alors que l’octroi d’une provision pour frais, correspondant à une partie des honoraires extrajudiciaires raisonnables anticipés, demeurait possible sous l’autorité de l’article 46 C.p.c. « … si la partie qui la sollicite établit qu’elle est si dépourvue de ressources qu’elle serait incapable, sans cette ordonnance de faire entendre sa cause … »
Or, en l'instance, la seule preuve faite par la partie requérante est contenue dans un affidavit alléguant que les Demandeurs sont épuisés financièrement. Une telle allégation générale n'est pas suffisante selon la Cour et la partie requérante avait le fardeau de venir étayer cette allégation par une preuve positive:
[8] En l’espèce, la seule déclaration assermentée de madame Gilbert ne fait pas voir en quoi les intimés sont épuisés financièrement compte tenu du fait qu’ils sont six à se partager les frais des procédures.
[9] Il ne suffit pas de l'affirmer généralement, encore faut-il énoncer les faits précis qui démontrent que la détérioration de la situation économique de la partie qui demande ce redressement est susceptible de l'empêcher de faire valoir ses droits. Ainsi, dans l'arrêt Hétu, l'appelant qui avait été destitué de son emploi de secrétaire-trésorier de l'intimée et faisait face à une avalanche de procédures de la part de cette dernière, était à ce point à bout de ressources que ses avocats avaient demandé au tribunal l'autorisation de cesser de le représenter et que seule une hypothèque de 25 000 $ consentie par sa conjointe sur la résidence familiale avait pu empêcher cette éventualité de se réaliser.
[10] Par conséquent, si l'abus constaté par la juge de première instance pouvait justifier une sanction, l'octroi d'une provision pour frais n'était pas celle qui était appropriée.
Fait intéressant, la Cour accueille l'appel, mais seulement pour substituer à la conclusion condamnant l'Appelante à verser une provision pour frais une conclusion la condamnant à payer des dommages et intérêts.

Référence: [2010] ABD 153

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