jeudi 4 novembre 2010

La Cour d'appel confirme la validité des clauses contractuelles de remboursement des honoraires extrajudiciaires

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

La Cour d'appel semble enfin avoir réglé le débat quasi interminable en droit québécois sur la validité des clauses contractuelles qui prévoient le remboursement des honoraires extrajudiciaires. En effet, dans un jugement monumental sur la question rendu mardi, la Cour confirme la validité de telles clauses dans Groupe Van Houtte inc. (A.L. Van Houtte ltée.) c. Développements industriels et commerciaux de Montréal inc. (2010 QCCA 1970).


Dans un jugement rendu par l'Honorable juge Marie-France Bich (au nom d'un banc unanime également composé des Honorables juges Pierre J. Dalphond et Allan R. Hilton), la Cour analyse en profondeur la question et semble mettre fin à la controverse jurisprudentielle.

La clause en question se lisait comme suit:
9.07 Frais juridiques
Le LOCATAIRE paiera sur demande au LOCATEUR tous les coûts, dépenses et frais juridiques que ce dernier encourera (sic) ou paiera pour l'exécution ou pour faire respecter l'exécution des dispositions, conditions et obligations du présent bail.
La Défenderesse, s'appuyant sur les affaires Franchise Cora inc. c. 2955-2544 Québec inc., Construction Polaris inc. c. A. Brousseau & Fils ltée, Finesses de Charlot inc. c. Noël et Turcot c. Cibula, soutenait qu'une telle clause était invalide car son objet serait une prestation indéterminée et indéterminable au sens des articles 1373 et 1374 C.c.Q. De son côté, s'appuyant notamment sur les affaires 164618 Canada inc. c. Compagnie Montréal Trust, Vitreries A. & E. Fortin inc. c. Armtec inc., Groupe Guy Pépin inc. c. Nova PB inc., l'intimée soutenait au contraire que l'objet de la clause était déterminable au sens des mêmes dispositions.

La juge Bich reconnaît d'abord que la jurisprudence sur la question est divisée, mais elle émet l'opinion qu'il est venu temps de confirmer clairement la validité de ces clauses:
[103] Il est vrai que la jurisprudence relative aux clauses de ce genre a fluctué, le débat (qui fut déjà axé sur l'ordre public) portant principalement sur la question de savoir si l'objet et la prestation prévus par ces clauses sont conformes aux articles 1373 et 1374 C.c.Q. (anciennement l'article 1066 C.c.B.-C.), c'est-à-dire déterminés ou déterminables.  
[104] Sous ce rapport, la validité générale de ces clauses doit, je crois, être aujourd'hui reconnue, du moins dans le cadre d'un contrat qui, comme celui de l'espèce, est un contrat de gré à gré, dûment négocié par les parties. Dans un contrat d'adhésion ou de consommation, en effet, la validité d'une telle clause devrait en outre être examinée au regard de l'article 1437 C.c.Q., qui n'est pas en cause ici. Dans le cas du contrat de consommation, il faudrait par ailleurs tenir compte, il va sans dire, des dispositions de la Loi sur la protection du consommateur.
Ce faisant, la juge Bich adopte l'analyse faite préalablement par le juge Rothman dans l'affaire Compagnie Montréal Trust et en vient à la conclusion qu'une telle clause ne met pas de l'avant une prestation indéterminée et indéterminable:
[110] [...] Avec égards, j'estime qu'on doit préférer l'analyse plus poussée du juge Rothman dans l'affaire Compagnie Montréal Trust, décidée le 23 septembre 1998, qui marque un tournant décisif et, citant l'arrêt Finesses de Charlot, s'en éloigne.
[111] Commentant l'arrêt Compagnie Montréal Trust, les professeurs Lluelles et Moore écrivent d'ailleurs que :
1049.24 Il demeure, selon nous, que le principe posé par la majorité dans l'affaire Montréal Trust dépasse le cadre technique de l'article 2667 C.c.Q. Pour la haute juridiction, lorsque le tribunal a un pouvoir légal de contrôle sur l'exercice d'une clause d'honoraires extrajudiciaires, celle-ci est valide même si elle ne comporte pas l'indication d'un montant précis ou maximal de ces honoraires. La doctrine avait favorablement reçu cette décision, et la jurisprudence l'avait appliquée, non seulement dans le contexte hypothécaire, mais également dans celui de l'article 1617, relatif aux dommages dus au retard dans l'exécution d'une obligation de payer une somme d'argent. À notre avis, cette solution mérite une pleine approbation.
1049.25 Encore ici — et à plus forte raison, parce qu'il s'agit d'une obligation accessoire —, l'exigence de détermination objective de la clause d'honoraires extrajudiciaires ne trouve pas sa base dans une nécessité structurelle de l'obligation, mais bien dans un objectif de protection de l'une des parties face au pouvoir discrétionnaire de son cocontractant. Dès lors que le tribunal peut contrôler l'exercice d'une telle clause par le créancier, le tribunal doit exercer ce contrôle, plutôt que d'annuler purement la clause. De cette manière, la règle de la détermination de la prestation atteint son objectif de protection, — de justice contractuelle —, sans pour autant empêcher les contractants de doter leur contrat d'un contenu flexible.
[112] Je fais mien ce point de vue, que partagent également les auteurs Baudouin, Jobin et Vézina, qui rapprochent ce genre de clause des clauses pénales et écrivent que :
À l'instar d'autres auteurs, nous sommes d'avis que semblable clause doit aujourd'hui être admise en règle générale. En effet, depuis la réforme du Code civil, le contrôle judiciaire de la clause pénale s'applique ici aussi, et il arrive qu'une telle stipulation soit considérée abusive dans les circonstances d'une affaire. Le débiteur est maintenant protégé contre les comptes d'honoraires excessifs de l'avocat du créancier et d'autres abus semblables. De plus, l'alinéa 3, nouveau, de l'article 1617 du Code civil soutient le principe de la validité de cette clause de « frais d'avocat ». Le contrôle judiciaire de la clause pénale constitue la base la plus appropriée, aujourd'hui, pour contrôler cette pratique commerciale, d'autant plus que le pouvoir du juge, à cet égard, n'est aucunement restreint à des contrats d'adhésion ou de consommation.
Par la juge Bich, le fait que la détermination de la prestation nécessite l'intervention du tribunal n'en fait pas automatiquement une prestation indéterminée et indéterminable, pas plus qu'il ne s'agit d'une obligation purement potestative:
[121] Ces observations judicieuses n'ont pas empêché la Cour, dans Armtec et, ultérieurement, dans Laferrière, de reconnaître la suffisance et la validité d'une telle clause « à pourcentage » au regard des articles 1373 et 1374 C.c.Q., parce que fixant une somme déterminable. Cela montre tout à la fois le degré d'imprécision toléré et le degré de précision requis. Par analogie, il n'est donc nullement exclus que le montant des honoraires extrajudiciaires visés par la clause soit inconnu au moment où celle-ci est stipulée et qu'il le demeure jusqu'au jugement final statuant sur les droits contractuels dont le bénéficiaire de la clause réclame par ailleurs l'exécution, n'étant déterminable et déterminé qu'à ce moment-là.
[122] Bref, même lorsqu'elle n'indique pas un montant précis ou un mode détaillé de calcul (ce qui serait assurément préférable ne serait-ce que pour éviter ou minimiser le risque de litige accessoire sur ce point précis), la clause pourvoyant en des termes suffisamment clairs au paiement des honoraires et débours extrajudiciaires encourus par une partie dans l'exercice des droits contractuels a un objet déterminé et comporte une prestation déterminable au sens des articles 1373 et 1374 C.c.Q. Ce n'est pas, par ailleurs, une obligation purement potestative, qui met le débiteur à la seule merci de son créancier, l'avocat de celui-ci ayant du reste des obligations déontologiques en matière de facturation.
Finalement, la Cour rappelle que l'exercice de se droit contractuel, comme tout autre, doit se faire de manière raisonnable et qu'il est soumis au contrôle de la Cour:
[124] Cela dit, il convient de rappeler, à l'instar de l'arrêt Compagnie Montréal Trust, que l'application des clauses contractuelles de ce genre doit se faire de manière raisonnable, sous le contrôle du tribunal, dans une perspective contextuelle. En fait, on doit lire dans toutes ces clauses, en filigrane, que seuls peuvent être réclamés les honoraires et débours raisonnablement encourus et non excessifs ou abusifs, dans le respect des métarègles issues des articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. Les facteurs suivants peuvent notamment être considérés pour évaluer le caractère raisonnable de la réclamation : importance et difficulté du litige, temps qu'il était nécessaire d'y consacrer, mais aussi façon dont l'instance a été menée par la partie qui réclame le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires (y compris en rapport avec l'utilité ou la pertinence des procédures), ainsi que raisonnabilité intrinsèque du taux horaire de l'avocat de cette partie ou du montant facturé, selon la formule convenue avec le client, pour assurer sa représentation dans l'instance. Il faut aussi, bien sûr, examiner la proportionnalité des honoraires réclamés au regard de la condamnation prononcée et l'ensemble du contexte.

[125] Ce contrôle judiciaire doit être exercé de façon rigoureuse, il va sans dire, pour éviter la surenchère de services juridiques ou de procédures ou l'exagération dans la fixation du taux ou du montant de la facturation, surenchère ou exagération qui pourraient résulter de la perspective que les honoraires d'avocat d'une partie soit payée par l'autre. Il va sans dire également que la partie qui réclame le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires doit s'attendre et consent implicitement à lever une partie du secret professionnel qui l'unit à son avocat, dans la mesure nécessaire à la vérification du caractère raisonnable des honoraires en question.
Voilà donc une décision de grande importance en matière de droit contractuel québécois.

Référence : [2010] ABD 146

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Franchise Cora inc. c. 2955-2544 Québec inc., J.E. 2001-1653 (C.S.).
3. Finesses de Charlot inc. c. Noël, 1996 CanLII 6049 (C.A.).
4. Turcot c. Cibula, [1974] C.A. 452.
5. 164618 Canada inc. c. Compagnie Montréal Trust, 1998 CanLII 13110 (C.A.).
6. Vitreries A. & E. Fortin inc. c. Armtec inc., 1998 CanLII 12539 (C.A.).
7. Groupe Guy Pépin inc. c. Nova PB inc, 2005 QCCA 596.

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