mercredi 13 octobre 2010

L'exception de l'article 2862 C.c.Q. in fine ne s'applique qu'aux actes passés dans le cours des activités régulières d'une entreprise

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

La prohibition de faire la preuve par voie testimoniale d'un acte juridique d'une valeur de plus de 1 500$ contenue à l'article 2862 C.c.Q. connaît deux exceptions: (1) l'existence d'un commencement de preuve (dont nous avons souvent traité sur le Blogue) et (2) le fait que l'acte juridique en question a été passé dans le cours des activités d'une entreprise. La jurisprudence a longtemps été divergente sur ce qu'il fallait comprendre par "acte juridique passé par elle dans le cours des activités d'une entreprise" dans ce contexte. L'affaire Lanctôt c. Romifal inc. (Nova PB inc.) (2010 QCCS 4755) est intéressante à ce chapitre.


Il s'agissait du recours d'un ex-cadre pour congédiement sans cause. Outre un délai congé, celui-ci réclamait un pourcentage du profit réalisé lors de la vente de l'entreprise conformément à une entente verbale alléguée. La Défenderesse niait non seulement l'existence d'une telle entente, mais s'objectait à la preuve testimoniale de celle-ci, ce à quoi le Demandeur rétorquait qu'il s'agissait d'un acte passé dans le cours des activités de l'entreprise.

L'Honorable juge Manon Savard, après avoir pris l'objection sous réserve, tranche le sort de celle-ci dans le cadre du jugement final. Elle procède d'abord à une revue de la jurisprudence pour déterminer le sens exact à donner à l'expression "acte juridique passé par elle dans le cours des activités d'une entreprise":
[149] L'article 2862 C.c.Q. permet la preuve testimoniale, contre une personne, d'un acte juridique passé par elle « dans le cours des activités de son entreprise ».
[150] En considérant la version anglaise de cette expression et l'analyse du contexte dans lequel elle est utilisée ailleurs dans le Code civil du Québec, les auteurs favorisent une interprétation restrictive de cette exception. Ainsi, elle ne s'appliquerait qu'aux activités régulières et courantes de l'entreprise, qui sont conformes à son objet :
1416 - Généralités - La deuxième condition requise à l'admissibilité de la preuve testimoniale contre l'exploitant d'une entreprise est que l'acte juridique soit passé dans le cours des activités de l'entreprise. Il faut, à cet égard, distinguer les contrats qui sont régulièrement passés dans le cadre des activités d'une entreprise et les contrats accessoires qui interviennent occasionnellement pour le service et l'exploitation d'une entreprise.
1417 - Activités régulières - Les activités régulières d'une entreprise sont déterminées par son objet. Ainsi, un dépanneur vend des marchandises, un entrepreneur construit des bâtiments, une compagnie de finance prête de l'argent. La preuve testimoniale des contrats de vente, d'entreprise ou de prêt est manifestement recevable lorsqu'elle est offerte contre le dépanneur, l'entrepreneur ou la compagnie de finance.

1418 - Actes accessoires - L'exploitant d'une entreprise conclut parfois des contrats qui sont nécessaires à son bon fonctionnement, mais qui ne font pas partie de ses activités régulières. C'est le cas de l'épicier qui loue un local, achète une caisse enregistreuse, agrandit son établissement ou emprunte de l'argent.
[…]
Les règles dérogatoires, qui ont pour but de faciliter la preuve des actes juridiques posés dans le cours des activités d'une entreprise, s'expliquent tant par le caractère répétitif des activités exercées que par le caractère systématique et ordonné des inscriptions faites. Aussi, il est normal de limiter ces exceptions aux actes posés dans le cours des activités d'une entreprise et d'exclure les contrats qui sont conclus occasionnellement pour favoriser la formation, l'établissement ou le développement de l'entreprise. À notre avis, les termes utilisés ne permettent plus d'invoquer la théorie de l'accessoire pour rendre admissible la preuve testimoniale d'un acte juridique qui n'est pas dans le cours des activités d'une entreprise, même s'il est conclu pour le service ou l'exploitation d'une entreprise. […]
[151] De façon majoritaire, les tribunaux ont également conclu à l'interprétation restrictive de l'expression « acte juridique passé dans le cours d'une activité d'une entreprise » aux termes de l'article 2862 C.c.Q.
[152] Dans l'arrêt 9108-4913 Québec inc. c. Capitale Alliance commercial inc., la Cour d'appel refuse la preuve testimoniale d'un contrat de courtage immobilier au motif que celui-ci ne constitue pas un acte juridique passé dans le cours des activités de l'entreprise. Elle écrit :
[19] La preuve révèle que les activités de l'entreprise des appelants ne sont aucunement celles d'un promoteur immobilier, mais plutôt celles d'un commerçant qui généralement acquiert des terrains, non pour la revente, mais pour y ériger et commercialiser des stations-service, dépanneurs, restaurants et centres commerciaux qu'il exploite. La vente du terrain n'a rien à voir, en l'espèce, avec les activités de l'entreprise des appelants. La conclusion du juge selon laquelle le contrat de courtage constitue ici un acte juridique passé dans le cours des activités de l'entreprise des appelants participe donc d'une erreur manifeste et dominante. La preuve testimoniale n'était par conséquent pas admissible, du moins pour ce motif.
Préférant l'interprétation à l'effet qu'il doit s'agir d'un acte courant et régulier de l'entreprise, la juge Savard en vient à la conclusion que le fait de conclure une prétendue entente pour le partage des profits résultants de la vente de l'entreprise ne tombe par dans le cadre des activités courantes et régulières de celle-ci:

[153] À la lumière de la doctrine et de la jurisprudence, le Tribunal est d'avis que l'acte juridique que M. Lanctôt veut mettre en preuve ne fait pas partie des activités courantes reliées à l'exploitation de l'entreprise de Nova Pb, qui est spécialisée dans le recyclage et la réutilisation de batteries au plomb acide. En fait, il est même de nature exceptionnelle puisqu'il consiste en une libéralité qui s'inscrit dans le cadre de la vente des actifs de l'entreprise. Il ne peut être, en raison de sa nature, au cœur des activités d'une entreprise commerciale.
[154] Le fait que cet engagement aurait remplacé le régime d'options d'achat d'actions, comme M. Lanctôt le soutient, ne change pas la qualification de l'acte juridique. Cette exception de l'article 2862 C.c.Q. ne trouve donc pas application en l'instance.

Référence: [2010] ABD 124

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. 9108-4913 Québec inc. c. Capitale Alliance commercial inc., 2008 QCCA 362.

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