jeudi 2 septembre 2010

Une expertise qui n'équivaut en fait qu'à un avis juridique sur le droit québécois est irrecevable en preuve

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

La jurisprudence est de plus en plus libérale sur les questions de recevabilité des rapports d'experts. Par exemple, on a assisté à des assouplissements à la règle qu'on ne peut déposer une expertise qui traite de la question ultime à être tranchée par la Cour. Par ailleurs, une règle semble être toujours aussi rigide: la règle qui prohibe le dépôt d'un rapport qui équivaut à une opinion juridique sur le droit québécois. La décision récente dans Rossdeutscher c. Concordia University (2010 QCCS 3759) illustre bien cette dernière réalité.


Le demandeur a assigné la défenderesse en révision judiciaire de la décision de son renvoi rendue le 10 février 2010. Au support de ses procédures, le demandeur dépose une expertise rédigée par un avocat, laquelle traite de la légalité de la décision rendue par le comité qui a pris la décision de renvoyer le demandeur. Traitant de la question, l'Honorable juge Paul Chaput rappelle d'abord les principes juridiques pertinents:
[27] Dans l’arrêt Fournier c. Lamonde, la juge Thibault précise la norme de recevabilité d’un rapport d’expert dans lequel est exprimé un avis juridique :
[19] Le texte de l'acte de vente n'est pas clair. Les parties ont-elles voulu créer un régime de copropriété indivise ? Ont-elles plutôt établi une servitude réelle, personnelle ou par destination du père de famille ? 
[20] À cet égard, le juge de première instance a eu le bénéfice de cinq opinions juridiques de notaires, qui ont proposé leur interprétation du texte de l'acte de vente de 1909 et qualifié la nature des droits associés. 
[21] À mon avis, cette preuve était inadmissible. Comme l'enseignent la doctrine et la jurisprudence, le rôle d'un expert consiste à fournir des « renseignements scientifiques et une conclusion qui, en raison de la technicité des faits, dépassent les connaissances et l'expérience du juge ». 
[22] L'interprétation de contrats et de textes juridiques relève incontestablement des connaissances du juge. En conséquence, l'usage d'opinions juridiques dans de telles circonstances est à proscrire. En plus d'être inutile et non pertinent, ce procédé est coûteux. Je reconnais que, dans certaines occasions, une telle opinion est nécessaire. C'est notamment le cas lorsqu'il est question d'établir la teneur d'une loi étrangère (art. 2809 C.c.Q.) ou une pratique notariale mais, en règle générale, l'opinion juridique n'est pas admissible pour « renseigner » le juge, qui est lui-même un expert en matière d'interprétation juridique.

Partant de ces principes, le juge Chaput analyse l'expertise produite pour déterminer quelle en est l'essence. Ce faisant, il fait référence à la jurisprudence qui énonce qu'un rapport peut être retiré du dossier in limine litis lorsque son essence est l’expression d’un avis juridique [voir Stephen Giesler c. Claude Migué et Daniel Touchette, 2010 QCCS 1323]. Il en vient à la conclusion que c'est ici le cas et que le rapport donc doit être retiré du dossier:
[34] De part sa facture et son style, le rapport de Me Frégeau est indéniablement un avis juridique. Après l’exposé des faits, il retient les définitions et dispositions pertinentes et, à la fin, qu’il y a eu erreur de la part l’Université dans l’application de son Academic Code of Conduct. 
[35] C’est au tribunal qu’il reviendra de décider, à partir de la preuve et des dispositions pertinentes des deux Codes, si, en raison de la décision du Student Hearing Panel, l’affaire de la plainte était jugée et que, en conséquence, il y a eu erreur de poursuivre l’affaire aux termes du Academic Code of Conduct. Il relève précisément de la compétence du tribunal de faire telle détermination.

Référence: [2010] ABD 79

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