jeudi 30 septembre 2010

La Cour supérieure rappelle les caractéristiques d'un plaideur quérulent

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

La question de la quérulence est particulièrement difficile puisqu'elle appelle à la découverte d'un équilibre entre le droit fondamental d'une personne de s'adresser aux tribunaux québécois et celui de la société en générale à s'assurer qu'on n'abuse pas des ressources judiciaires. C'est pourquoi les tribunaux, avec raison selon nous, placent la barre particulièrement haute avant de conclure à la quérulence. Par ailleurs, le jugement récent rendu par l'Honorable juge Jean-François de Grandpré dans Gougoux c. Richard (2010 QCCS 4483) comporte une revue admirable des caractéristiques d'un plaideur quérulent.


Le juge de Grandpré commence par rappeller les caractéristiques d'un plaideur quérulent et les assises juridiques applicables:
[19] Le «comportement quérulent» est défini à l'article 84 du Règlement de procédure civile de la Cour supérieure:
« 84. Interdiction sauf autorisation. Si une personne fait preuve d'un comportement quérulent, c'est-à-dire si elle exerce son droit d'ester en justice de manière excessive ou déraisonnable, le tribunal peut lui interdire d'introduire une demande en justice sans autorisation préalable. »
[...]

[21] L’entrée en vigueur des articles 54.1 et ss. C.p.c. ne modifie pas les caractéristiques traditionnellement retenues par les tribunaux dans leur analyse de l’opportunité de déclarer un individu plaideur quérulent.

[22] Le Code de procédure civile autorise également un tribunal à déclarer un individu plaideur quérulent, et ce, en réaction à une procédure intentée par lui. Une telle procédure peut être déclarée abusive par le tribunal et la partie qui allègue l’abus n’a qu’à l’établir sommairement, tel que le prévoit l’article 54.2 al. 1:
« 54.2. Si une partie établit sommairement que la demande en justice ou l'acte de procédure peut constituer un abus, il revient à la partie qui l'introduit de démontrer que son geste n'est pas exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit. »
[...]

[24] La jurisprudence identifie plusieurs traits caractéristiques du plaideur quérulent. La décision phare en la matière est Barreau du Québec c. Srougi. Le juge en chef adjoint Wery y reprend de manière succincte les caractéristiques jurisprudentielles et doctrinales :

[26] La jurisprudence et la doctrine ont identifié plusieurs facteurs (ou symptômes) qui sont indicatifs de quérulence. Parmi ceux-ci :

Le quérulent montre de l’opiniâtreté et du narcissisme;

Il se manifeste plus souvent en demande plutôt qu’en défense;

Il multiplie les recours vexatoires y compris contre les auxiliaires de la justice. Il n’est pas rare, en effet, que ces procédures et ces plaintes soient dirigées contre les avocats, le personnel judiciaire, ou même les juges personnellement, qui font l’objet d’allégations de partialité et de plaintes déontologiques;

Quatrièmement, la réitération des mêmes questions par des recours successifs et ampliatifs, et à la recherche du même résultat malgré les échecs répétés de demandes antérieures, est fréquente;
Cinquièmement, les arguments de droit mis de l’avant par lui se signalent à la fois par leur inventivité et leur incongruité. Ils ont une forme juridique certes, mais à la limite du rationnel;
Sixièmement, les échecs répétés des recours ainsi exercés entraînent à plus ou moins longue échéance son incapacité à payer les dépens et les frais de justice auxquels il est condamné;
Septièmement, la plupart des décisions adverses, sinon toutes, sont portées en appel ou font l’objet de demandes de révision ou de rétractation.
Huitièmement, il se représente seul.
[25] Dans Salvas c. Bourgault le juge Tardif en ajoute deux autres:
· (ses) procédures… sont truffées d'insultes et d'injures;
· (L)'affirmation … que des témoins vont venir contredire les parjures et les faux témoignages qui ont été faits lors d'instances précédentes.

Par ailleurs, le juge de Grandpré prend bien soin de mentionner qu'il ne s'agit là que des caractéristiques d'un plaideur quérulent et non de critères. En bout de ligne, la seule question qu'aura à trancher la Cour est celle de savoir si le plaideur fait un exercice excessif ou déraisonnable de son droit d’ester en justice. Ainsi, il n'est pas nécessaire que toutes les caractéristiques ou même la majorité de celles-ci soient rencontrées.

Nous attirons donc votre attention sur cette décision parce qu'elle fait une revue très utile de la question.

Référence: [2010] ABD 113

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Barreau du Québec c. Srougi, 2007 QCCS 685.
2. Salvas c. Bourgault, 2006 QCCS 4163.

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