mardi 27 juillet 2010

Les articles 54.1 et suivants C.p.c. donnent le pouvoir aux tribunaux québécois d’ordonner le dépôt d’un cautionnement pour frais

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

De par l’introduction des articles 54.1 et suivants C.p.c., le législateur a donné des outils puissants à la magistrature pour sanctionner les abus. Or, la récente affaire de Minco-Division Construction Inc. c. 9170-6929 Québec Inc. (2010 QCCS 3339) pose la question de savoir si l’article 54.3 (1), qui édicte que la Cour peut « assujettir la poursuite de la demande en justice ou l'acte de procédure à certaines conditions », est assez large pour permettre à la Cour d’ordonner le dépôt d’un cautionnement pour frais lorsque les critères de l’article 65 C.p.c. ne sont pas rencontrés.


L’Honorable juge André Roy répond de manière quelque peut équivoque, mais semble conclure que la réponse à cette question est affirmative :
[49] Quant à la conclusion subsidiaire de la requête pour rejet des défendeurs, fondée plaident-ils sur l'article 54.3, 1° C.p.c., et selon laquelle les demandeurs devraient être tenus de fournir caution pour la sûreté des frais, le Tribunal est d'avis qu'il ne peut y faire droit.

[50] Pour prononcer une telle ordonnance, il faudrait que le Tribunal ait conclu que la demande ou l'acte de procédure des demandeurs est abusif.

[51] Par ailleurs, il ne s'agit pas d'un des cas prévus à l'article 65 C.p.c. et donnant ouverture à caution.
On devrait donc en conclure que le cautionnement pour frais peut être ordonné dans les cas prévus par l’article 65 C.p.c. ou lorsque la Cour constate un abus. C’est d’ailleurs ce que laissait sous-entendre la Cour supérieure dans 153114 Canada Inc. c. Panju (2010 QCCS 1190), quoique, encore une fois, la réponse n’était pas des plus claires, la Cour semblant confondre cautionnement pour frais et provision pour frais dans son analyse.

Cela étant dit, si le tendance jurisprudentielle se maintien, les plaideurs auront maintenant une autre option qui s’offre à eux pour faire sanctionner les abus.

Référence : [2010] ABD 45

2 commentaires:

  1. Avec tout le respect que je vous dois pour l'excellent travail que vous faites normalement sur ce blogue, je ne suis absolument pas d'accord avec votre analyse de cette décision, ni avec votre commentaire par rapport à 153114 Canada Inc. c. Panju (2010 QCCS 1190). Le fait que le tribunal écarte le remède parce qu'il n'a pas trouvé qu'il y avait abus ne permet pas d'extrapoler qu'il aurait pu accueillir la demande n'eut été de ce motif. Le tribunal ne laisse rien entendre en ce faisant, et il serait tendancieux de soutenir le contraire dans le cadre d'un "résumé" de décision. Si la présente publication constitue un commentaire, il faudrait l'identifier comme tel.

    Par ailleurs, vous n'êtes pas sans savoir qu'il y a une grande différence entre un cautionnement pour frais et une provision pour frais. Ce que prévoient les articles 54.1 et suiv., c'est la possibilité qu'une provision pour frais soit accordée. D'ailleurs, la Cour supérieure était assez claire à cet égard dans 153114 Canada Inc. c. Panju. Alors que le remède demandé était un cautionnement pour frais, la Cour refusait de se prononcer en faveur de la demande parce qu'il n'y avait pas déséquilibre financier entre les parties :

    [55] La sanction recherchée par Ernst & Young est disproportionnée par rapport à la conduite vexatoire passée de Weinberg. Ordonner à Weinberg de déposer 2 millions de dollars en provision pour frais serait l'équivalent de lui nier son droit d'accès à la justice. Une pareille ordonnance serait contraire au fondement même des articles 54.1 et suivants C.p.c.

    [56] Les conclusions de la requête d'Ernst & Young ne seront pas accueillies. Ici, nous ne sommes pas en présence d'un déséquilibre financier entre les parties au sens de l'alinéa 5 de l'article 54.3 C.p.c. Le recours exercé par Weinberg n'a pas pour effet de bâillonner Ernst & Young ou de l'empêcher de faire valoir son point de vue en défense.

    Le cautionnement pour frais a également été refusé dans Acadia Subaru c. Michaud, 2009 QCCQ 14458 pour le motif que ce remède n'existe pas sous 54.1 et suiv. C.p.c.

    Il est vrai, par contre, qu'un tel cautionnement a été ordonné, dans l'affaire Walker Nappert (Succession de), 2009 QCCS 4784, où la Cour a ordonné un cautionnement pour frais allant jusqu’à 5 000$ par demandeur.

    Cela dit, je maintiens qu'il est erroné de citer la décision commentée au soutien de la proposition qu'un cautionnement pour frais peut être accordé en vertu des articles 54.1 et suiv. C.p.c.

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  2. Cher Meaucarré,

    D'abord, merci pour le commentaire fouillé et bien informé. Ceci étant dit, je ne partage pas nécessairement votre opinion.

    Le libellé du paragraphe (a) de l'article 54.3 m'apparaît certes assez large pour permettre à la Cour d'ordonner un cautionnement pour frais. D'ailleurs, si la Cour, dans Minco, était d'opinion que ce n'était pas le cas, le paragraphe 50 de la décision serait superflu. Il aurait suffit de simplement indiquer que les critères de l'article 65 C.p.c. n'étaient pas remplis.

    Pour ce qui est de la différence entre un cautionnement et une provision, vous avez tout à fait raison qu'il ne faut pas les confondre. C'est d'ailleurs pourquoi la décision dans 153114 Canada Inc. est si difficile à comprendre. Dans celle-ci, on demande que la partie demanderesse soit forcée à fournir un cautionnement, mais le juge analyse la question en utilisant les critères de la provision pour frais. Il est difficile de voir le lien honnêtement.

    Reste que dans cette affaire également, la Cour aurait pu tout simplement dire qu'un cautionnement ne peut être ordonné qu'à l'encontre d'un demandeur étranger, ce qu'elle ne fait pas.

    Ceci étant dit, il est incontestable qu'il ne s'agit pas d'un énoncé juridique très clair.

    Bonne journée,

    Karim Renno

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