jeudi 17 juin 2010

Pas de droit constitutionnel indépendant à l'information selon la Cour suprême

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

La Cour suprême a rendu aujourd'hui un jugement très attendu sur le droit à l'accès à l'information dans Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association (2010 CSC 23). Dans ce jugement unanime (rédigé conjointement par la juge en chef McLachlin et la juge Abella), la Cour a décrété qu'il n'existe pas de droit constitutionnel indépendant à l'information en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.
 
La cause traite de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée d'Ontario. Cette loi prévoit, entre autre, le droit de demander l'accès à certains documents de l'administration publique. Elle contient cependant plusieurs motifs pour lesquels la divulgation peut être refusée par l'administration. Particularité de la loi, son article 23 prévoit que, même lorsqu'une demande tombe sous le coup d'une des exceptions, l'administration publique doit soupeser l'intérêt public à la divulgation de l'information et la communiquer lorsque cet intérêt est plus important que l'objectif recherché par la protection de l'information. L'article se lit comme suit:
23. L’exception à la divulgation visée aux articles 13 [conseils au gouvernement], 15 [rapports avec d’autres autorités gouvernementales], 17 [renseignements concernant des tiers], 18 [intérêts économiques et autres de l’Ontario], 20 [menace à la santé ou à la sécurité], 21 [vie privée] et 21.1 [espèces en péril] ne s’applique pas si la nécessité manifeste de divulguer le document dans l’intérêt public l’emporte sans conteste sur la fin visée par l’exception.

Cependant, l'article 23 ne s'applique pas au refus de communication de l'information sur la base de l'exécution de la loi (art. 14) ou du secret professionnel (art. 19). La question posée devant la Cour suprême était de savoir si le fait que le principe de la primauté des raisons d’intérêt public consacré par l’art. 23 ne s’applique pas aux documents à l’égard desquels on invoque le secret professionnel de l’avocat ou le privilège rattaché aux écrits relatifs à l’exécution de la loi viole le droit à la liberté d’expression protégé par l’al. 2b) de la Charte.

Ce faisant, la Cour devait d'abord déterminer si le droit à l'accès à l'information est protégé par la Charte. Elle en vient à la conclusion qu'il n'existe aucune protection constitutionnelle indépendante à cet égard:
[...] nous concluons que l’al. 2b) ne garantit pas l’accès à tous les documents détenus par le gouvernement. Il garantit la liberté d’expression, pas l’accès à l’information. L’accès est un droit dérivé qui peut intervenir lorsqu’il constitue une condition qui doit nécessairement être réalisée pour qu’il soit possible de s’exprimer de manière significative sur le fonctionnement du gouvernement.

En sommes, pour conclure à une violation d'un droit constitutionnel suivant un refus de communiquer de l'information, une partie demanderesse doit d'abord établir que l’accès est nécessaire pour qu’on puisse s’exprimer librement de manière significative sur des questions d’intérêt public ou politique.
Qui plus est, selon la Cour, même si c'était le cas, ce droit ne l'emporterait pas sur la protection prévue aux article 14 et 19 de la Loi:
Tout d’abord, examinons les documents préparés dans le cadre de l’exécution de la loi, soit ceux qui sont visés par l’art. 14 de la Loi. Comme en atteste la jurisprudence relative à des notions comme celles du privilège de l’indicateur de police et du pouvoir discrétionnaire de la poursuite, il est clairement dans l’intérêt public de protéger les documents relatifs à l’exécution de la loi [...]. L’article 14 de la Loi en est le reflet. En fait, au paragraphe 14(1), le législateur a déclaré que la divulgation des documents décrits aux al. a) à l) serait à ce point susceptible de nuire à l’intérêt public qu’on ne peut présumer qu’elle est tolérée.
[...]
La même analyse s’applique, peut-être de façon encore plus convaincante, à l’exception relative aux documents protégés par le secret professionnel de l’avocat. L’article 19 de la Loi prévoit qu’une personne responsable « peut refuser de divulguer un document protégé par le secret professionnel de l’avocat. Il en est de même d’un document élaboré par l’avocat‑conseil de la Couronne, ou pour son compte, qui l’utilise soit dans la communication de conseils juridiques, soit à l’occasion ou en prévision d’une instance ». Cette exception vise clairement à protéger le secret professionnel de l’avocat, qui a été jugé presque absolu puisqu’il est fortement dans l’intérêt public de maintenir la confidentialité de la relation entre un avocat et son client : [...].

Compte tenu de la nature quasi absolue du secret professionnel de l’avocat, il est difficile de concevoir comment le principe de la primauté de l’intérêt public consacré par l’art. 23 pourrait commander la divulgation d’un document protégé. Cela est d’autant plus vrai du fait de la présence du mot « peut » qui suppose que la personne responsable a le pouvoir et, le cas échéant, l’obligation d’examiner la nécessité manifeste de divulguer le document dans l’intérêt public. Encore une fois, le principe de la primauté de l’intérêt public consacré par l’art. 23 ajouterait bien peu au processus de décision.

De par son jugement, la Cour vient donc réitérer avec force la protection du secret professionnel.

Dénonciation: L'auteur de ce commentaire était un des procureurs de l'intervenante, l'Association du Barreau Canadien, devant la Cour suprême du Canada.

Référence : [2010] ABD 15

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