jeudi 16 juin 2011

La servitude légale ne peut s'éteindre par voie de prescription extinctive, mais son assiette peut être réduite

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Lorsque l'on traite de la prescription extinctive d'une servitude, il importe d'abord que cerner sa source. En effet, la servitude légale qui est dévolue au fonds enclavé ne peut s'éteindre par prescription extinctive, mais son assiette elle peut faire l'objet de modifications en raison de la prescription. On discute de ce sujet dans Déry c. Charest (2011 QCCS 2914).


Dans cette affaire, le Demandeur invite le Tribunal à conclure, par jugement déclaratoire, que le chemin de passage reliant le « Domaine Charest » à la voie publique du Rang Sud-Ouest de la rivière Batiscan comporte obligatoirement une bande de roulement d'une largeur minimale de vingt (20) pieds sur toute sa longueur, à l'exclusion des fossés et « calvettes ».  Les Défendeurs arguent pour leur part que depuis 1961, les utilisateurs du chemin ont toujours circulé sur une assiette n'ayant connu aucune modification significative. Le chemin n'ayant jamais eu une largeur de 20 pieds sur toute sa longueur, il y a donc prescription extinctive pour la partie inutilisée.

L'Honorable juge François Huot reconnaît d'abord que la servitude légale dont bénéficie un fonds enclavé ne peut s'éteindre par prescription. Conclure au contraire aurait pour effet de couper tout accès au fonds enclavé:
[41] Le demandeur soutient, quant à lui, que la prescription extinctive ne s'applique pas au droit de passage établi au bénéfice d'un fonds enclavé. En vertu de l'article 997 C.c.Q., une telle servitude est imposée par la loi. Elle est, de ce fait, imprescriptible:
« Art. 997 Le propriétaire dont le fonds est enclavé soit qu'il n'ait aucune issue sur la voie publique, soit que l'issue soit insuffisante, difficile ou impraticable, peut, si on refuse de lui accorder une servitude ou un autre mode d'accès, exiger de l'un de ses voisins qu'il lui fournisse le passage nécessaire à l'utilisation et à l'exploitation de son fonds.
Il paie alors une indemnité proportionnelle au préjudice qu'il peut causer. »
[42] Toujours selon monsieur Déry, le Tribunal se trouve devant une situation évidente d'enclave, d'ailleurs admise par les défendeurs. En conséquence, la servitude de passage ne peut se prescrire, ni totalement ni partiellement.
[43] Avec égards, le Tribunal ne partage pas cette opinion.
[44] Certes, une servitude légale ne peut se prescrire complètement. Si tel était le cas, le fonds du demandeur se retrouverait dans une intolérable situation d'enclave.
Cela ne veut cependant pas dire que cette servitude ne peut être affectée par la prescription. En effet, son assiette est susceptible de modification:
[45] Dans son ouvrage intitulé « Précis de droit des biens », le professeur Lafond formule les commentaires suivants:
« Sans pour autant l'éteindre, le non-usage d'une partie de la servitude peut entraîner sa réduction, c'est-à-dire causer une perte partielle de la servitude. Dans le cas d'un droit de passage, le titulaire qui en fait un usage plus restreint que celui auquel il a droit voit, avec le temps, l'étendue de l'assiette de sa servitude diminuer. Le propriétaire du fonds dominant qui passe toujours sur la même lisière de terrain pendant 10 ans limite son droit à cette lisière et perd le bénéfice du reste de l'assiette. Il ne peut plus, après l'expiration de ce temps, exercer la servitude dans sa plénitude. »
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/mvs1Eg

Référence neutre: [2011] ABD 201

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