lundi 17 mai 2010

Jugement intéressant de la Cour d'appel en matière de conflit d'intérêts

par Karim Renno
Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

La Cour d'appel a rendu un jugement intéressant mercredi dernier en matière de conflit d'intérêts. Dans Lavery, de Billy, s.e.n.c.r.l. c. Groupe Jean Coutu (PJC) Inc. (2010 QCCA 937), elle a confirmé le jugement rendu par l'Honorable Danielle Richer statuant que le cabinet Lavery, de Billy ne pouvait pas représenter l'Ordre des pharmaciens dans une cause impliquant le Groupe Jean Coutu.


Le paragraphe 4 du jugement résume bien le fond du litige et se lit comme suit:
Dans l'action principale, M. Quesnel, pharmacien et franchisé du Groupe Jean-Coutu (PJC) inc. (Groupe), demande à la Cour supérieure de déclarer certaines clauses de son contrat de franchise illégales et contraires à l'ordre public. Il soutient, entre autres, que la clause 6 du contrat l'oblige à partager avec le Groupe des bénéfices provenant de la vente de médicaments, en contravention de ses obligations, comme pharmacien, en vertu de l'article 49 du Code de déontologie des pharmaciens. L'Ordre intervient et prend, pour l'essentiel, fait et cause pour M. Quesnel.
L'Ordre est représenté dans ce dossier par un procureur de Lavery, de Billy. Ce cabinet représente d'ailleurs l'Ordre régulièrement depuis 1985. Or, quatre anciens avocats de Desjardins Ducharme qui oeuvrent maintenant chez Lavery ont agi dans le passé pour le compte du Groupe Jean Coutu, ce qui amène ce dernier à demander la disqualification du cabinet.

près avoir considéré la preuve et appliqué les principes juridiques qui découlent de la décision de la Cour suprême du Canada dans Succession MacDonald c. Martin ([1990] 2 R.C.S. 1235), la juge de première instance conclut que les anciens de Desjardins Ducharme ont eu accès à des informations confidentielles et pertinentes au litige. Appliquant la présomption de connaissance des autres membres du cabinet, elle en arrive à la conclusion que l'étude doit être disqualifiée.

La Cour d'appel confirme ce jugement et commente les mesures de confidentialité prises dans ce dossier. Au paragraphe 17 du jugement, elle énonce:
Lors de l'intégration des avocats du cabinet Desjardins Ducharme au 1er octobre 2007, les précautions entreprises ont été insuffisantes pour repérer, à l'avance, les conflits. Des affidavits ont été préparés, mais la Cour partage l'opinion de la juge que cette mesure, dans les circonstances de l'espèce, est insuffisante. Il est vrai que le 19 septembre 2008, un document intitulé « mesure de protection pour assurer le caractère confidentiel de certains dossiers » a été signé par Me Zigby et Me Couture, d'une part, et Me Frère, d'autre part. Toutefois, cette mesure d'isolement vient tardivement, comme le remarque la juge, et ne peut empêcher l'apparence d'un conflit d'intérêts. Il est vrai que Me Couture n'intègre pas physiquement les murs du bureau le 1er octobre 2007, mais il n'en est pas moins associé de Lavery à partir de cette date. La mesure d'isolement est installée trop tard et elle est trop peu étanche pour contrer le conflit. Il est présumé que des informations confidentielles et pertinentes au litige ont été transmises à Lavery dès le 1er octobre 2007 et les mesures entreprises n'ont pas eu l'effet de repousser la présomption.
Ce faisant, la Cour rappelle deux principes importants en matière de conflit d'intérêts, i.e. que c'est au cabinet d'avocats d'établir qu'aucun renseignement pertinent n'a été communiqué et que des mesures de protection doivent être mises en place dès que possible (et parfois même avant l'avènement d'un litige).

Référence : [2010] ABD 1

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