mercredi 1 octobre 2025

En matière de vices cachés, la demanderesse en garantie a également l'obligation de dénoncer le vice pour avoir un recours valable contre la défenderesse en garantie

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous avons déjà traité de la question, mais cela fait déjà neuf ans et la règle demeure largement inconnue ou ignorée, de sorte que nous revenons aujourd'hui sur la nécessité pour une partie qui reçoit dénonciation de vices cachés d'elle-même dénoncer ces vices à toute partie qu'elle vaudrait poursuivre en garantie. Cela implique généralement une réaction rapide puisqu'il faut dès réception d'une dénonciation identifier qui pourrait être les personnes ultérieurement appelées en garantie et leur faire parvenir une dénonciation. La Cour d'appel vient de traiter exhaustivement de la question dans l'affaire Meyer c. Pichette (Succession de Morin) (2025 QCCA 1193).


L'Appelante se pourvoit à l'encontre d'un jugement de la Cour supérieure qui a rejeté son action en garantie au stade préliminaire pour cause d'absence d'avis de dénonciation de vices cachés. 

On retiendra de la trame factuelle que les acheteurs d’une maison poursuivent leur vendeuse (l’Appelante) pour vices cachés. Cette dernière appelle en garantie son vendeur, qui appelle quant à lui en arrière-garantie ses propres vendeuses. Alors que les acheteurs ont dénoncé les vices qu'ils allèguent être cachés à l'Appelante avant de procéder à des travaux correctifs, cette dernière n'en a pas fait autant pour le défendeur en garantie. Ce dernier demande donc le rejet de l'action en garantie et la juge de première instance lui donne raison.

Au nom d'une formation unanime de la Cour d'appel, l'Honorable juge Stephen Hamilton indique que la juge de première instance s'est bien dirigée en droit et que la partie défenderesse qui veut appeler un tiers en garantie a l'obligation de dénoncer le vice en temps utile:
[27] La Cour a ainsi décrit l’importance de l’avis de dénonciation de vice caché:
[7] L’avis de dénonciation de vice est une condition de fond à l’exercice d’un recours contre le vendeur professionnel et contre le fabricant visé par la même garantie en vertu de l’article 1730 C.c.Q. Cet avis leur permet « de faire des constats quant à l’existence du vice [et] l’ampleur des dommages, et de proposer d’effectuer le remplacement ou la réparation du bien vicié à un meilleur coût qu’un tiers ». Ainsi, « l’existence d’un préavis […] entraine comme corollaire le droit du vendeur [et du fabricant] de remédier au vice avant que des sanctions ne soient prises contre lui ».

[Renvois omis]
[28] La jurisprudence a créé des exceptions à l’obligation de transmettre un avis de dénonciation, mais il existe une certaine confusion à cet égard. Dans un jugement récent, la Cour supérieure énumère six exceptions à l’obligation :

[…] L’acheteur peut être dispensé du préavis dans certaines circonstances, notamment dans les cas suivants :

- Le vendeur connaissait le vice ou ne pouvait l’ignorer;

- Le vendeur a répudié toute responsabilité à l’égard du vice;

- Le bien est entièrement détruit et il est impossible de l’inspecter;

- Il y a urgence à effectuer les réparations;

- Il est impossible d’aviser le vendeur à temps; ou,

- Le vendeur ne subit pas de préjudice réel résultant de l’absence de dénonciation.

[29] Toutefois, dans l’arrêt Joyal, la Cour a énoncé seulement trois exceptions, soit (1) lorsqu’il y a urgence à effectuer les réparations, (2) lorsque le vendeur a répudié toute responsabilité à l’égard du vice, ou (3) lorsque le vendeur a renoncé, de façon expresse ou implicite, à la dénonciation.

[30] Les autres situations énumérées dans le passage de la Cour supérieure reproduit ci-dessus ne sont pas de véritables exceptions :

• Le fait que le vendeur connaissait le vice ou ne pouvait l’ignorer n’est pas un motif de dispense de l’obligation de dénoncer le vice, le deuxième alinéa de l’article 1739 C.c.Q. prévoyant plutôt que le vendeur qui connaissait le vice ne peut pas invoquer la tardiveté de la dénonciation;

• Le fait que le bien est entièrement détruit et qu’il est impossible de l’inspecter est pertinent au moment de déterminer la sanction pour l’absence ou la tardiveté de l’avis;

• L’impossibilité d’aviser le vendeur constitue une défense à une allégation d’absence ou de tardiveté de l’avis;

• L’absence de préjudice réel du vendeur résultant de l’absence de dénonciation est pertinente au moment de déterminer la sanction pour l’absence ou la tardiveté de l’avis.

[31] Dans la mesure où ces autres situations sont pertinentes dans le présent litige, j’en traiterai plus loin, dans la section sur l’absence ou la tardiveté de l’avis, ou dans celle sur la sanction.

[32] La juge analyse en détail les trois exceptions à l’obligation de transmettre un avis de dénonciation et conclut qu’aucune ne s’applique au présent dossier. En appel, Meyer soutient que Pichette n’aurait pas démontré l’inexistence de l’urgence des travaux et que la juge aurait conclu prématurément en ce sens.

[33] Meyer a tort.

[34] L’exception pour les travaux urgents permet à l’acheteur de procéder à de tels travaux sans perdre son droit de poursuivre son vendeur. L’application de cette exception dans le cas des vendeurs successifs se complique en raison du fait que le dernier vendeur ne contrôle pas l’exécution des travaux par l’acheteur, actuel propriétaire. En l’espèce, Meyer doit démontrer qu’elle ne pouvait pas aviser Pichette avant que les travaux correctifs soient effectués par les Barabé-Tassé, parce qu’il y avait urgence de procéder à ceux-ci. Or la preuve au dossier n’appuie pas cet argument. En effet, les Barabé-Tassé ont avisé Meyer promptement des vices et ils lui ont donné un délai pour constater ceux-ci par elle-même avant de faire exécuter les travaux correctifs. En ce qui concerne le problème de condensation murale, ils avisent Meyer de son existence le 11 février 2022 et lui envoient une mise en demeure le 14 avril qui prévoit que les travaux correctifs débuteront la première semaine du mois de mai. Il n’est pas question d’urgence. Meyer avait suffisamment de temps pour aviser Pichette avant le début des travaux. De toute manière, s’il lui manquait de temps, elle aurait pu demander aux Barabé-Tassé un délai additionnel ou aurait pu s’adresser au tribunal pour faire cesser les travaux. Elle n’a rien fait. L’exception pour les travaux urgents ne trouve donc pas application.

[...]

[44] L’article 1739 C.c.Q. prévoit que l’acheteur doit aviser son vendeur du vice (sauf en ce qui concerne les exceptions déjà mentionnées) à l’intérieur d’un « délai raisonnable », et il doit lui laisser un temps raisonnable pour examiner le vice avant d’effectuer les travaux correctifs. Le « délai raisonnable » existe pour donner le temps à l’acheteur de bien comprendre l’origine et l’étendue du problème ainsi que la responsabilité du vendeur, et pour ne pas forcer l’acheteur à poursuivre son vendeur de façon hâtive.

[45] Cette notion s’applique mal dans le cas de vendeurs successifs. Ici, les Barabé-Tassé ont avisé Meyer dès la découverte des vices et lui ont accordé un délai raisonnable avant d’effectuer les travaux correctifs. Meyer devait durant ce délai (ou toute prolongation de ce délai) aviser Pichette. Rien ne justifie que Meyer dispose d’un délai de sept à douze mois à compter de la date où elle est avisée du vice pour aviser Pichette, et que les Barabé-Tassé doivent en conséquence attendre sept à douze mois avant d’effectuer les travaux correctifs.

Le juge Hamilton met de côté l'argument de l'Appelante voulant qu'elle n'avait pas à envoyer d'avis de dénonciation en raison de la solidarité qui existerait entre toutes les personnes qui sont tributaires de la garantie de qualité. Il souligne qu'il n'existe pas de telle solidarité:

[35] Meyer plaide aussi qu’elle n’était pas tenue d’aviser Pichette parce qu’ils sont des débiteurs solidaires de la garantie de qualité et que la dénonciation faite par les Barabé-Tassé valait à l’égard de tous les débiteurs solidaires. Elle s’appuie sur l’article 1599 C.c.Q. et la décision D’Astous c. Bélanger, où le juge conclut qu’une mise en demeure à l’égard d’un vendeur non professionnel vaut à l’égard du vendeur de ce dernier appelé en garantie, et ce, en raison de la solidarité existant entre les deux.

[36] Avec égards, cette décision est isolée et erronée. Elle est fondée sur la décision Royal & Sunalliance c. Hewitt Équipement ltée, qui traite de la responsabilité solidaire du vendeur et du fabricant aux termes de l’article 1730 C.c.Q. En vertu de cet article, l’acheteur a un recours contre son vendeur et le fabricant sur le fondement du même contrat, soit son contrat avec son vendeur. La solidarité s’explique. L’article 1442 C.c.Q. quant à lui permet à l’acheteur, en plus de son recours contre son vendeur, de poursuivre le vendeur antérieur en exerçant le recours de son vendeur. Il s’agit donc de deux recours qui se ressemblent, mais qui ont des fondements différents. Les deux défendeurs ne sont pas obligés à la même chose. Il n’y a donc pas de solidarité.

Référence : [2025] ABD 391

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Notre équipe vous encourage fortement à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d'alimenter les discussions à propos de nos billets. Cependant, afin d'éviter les abus et les dérapages, veuillez noter que tout commentaire devra être approuvé par un modérateur avant d'être publié et que nous conservons l'entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.