mardi 16 janvier 2018

Au sens de l'article 2862 C.c.Q., l'acte passé dans le cours des activités d'une entreprise doit être une activité régulière et courante

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous avons déjà souligné que l'exception relative aux actes passés dans le cours des activités d'une entreprise à l'article 2862 C.c.Q. doit recevoir une interprétation restrictive. Nous revenons à la charge sur le sujet aujourd'hui pour traiter de l'affaire 3090-4320 Québec inc. (Royal Lepage St-Jean) c. Sobeys Québec inc. (2018 QCCS 59) où l'Honorable Louis Lacoursière souligne que l'acte passé dans le cours des activités d'une entreprise doit correspondre à une activité régulière et courante.


Dans cette affaire, le juge Lacoursière est saisi de la réclamation de la Demanderesse en dommages contre la Défenderesse. La Demanderesse réclame à commission à la suite de la conclusion d’un bail commercial intervenu en juin 2012 au terme duquel la Défenderesse est locataire d’un espace d’un centre commercial à Saint-Jean-sur-Richelieu.

Cette réclamation est fondée sur ce que la Demanderesse allègue être une entente verbale. La Défenderesse s'objecte à la preuve testimoniale de cette entente en invoquant l'article 2862 C.c.Q.

Pour contrer cette objection, la Demanderesse invoque l'exception relative aux actes passées dans le cours des activités de la Défenderesse.

Après analyse de la jurisprudence pertinente, le juge Lacoursière souligne que cette exception doit recevoir une interprétation restrictive et ne s'applique que activités régulières et courantes d'une entreprise.  Puisque la conclusion de contrats de courtage - bien que pas inhabituel pour la Défenderesse - ne tombe pas dans les activités courantes et régulières de la Défenderesse, le juge Lacoursière rejette l'argument de la Demanderesse:
[59] Royal Lepage plaide que l’exception du 2e paragraphe de l’article, qui permet la preuve par témoignage d’un acte juridique passé par une personne dans le cours des activités d’une entreprise, trouve ici application. Elle invite le Tribunal à élargir le sens du mot « entreprise ». Elle invoque que pour les tiers, l’achat et la location de terrains pour l’établissement de magasins est partie de l’entreprise de Sobeys. Elle soutient de plus que de l’ensemble de la preuve se dégage un commencement de preuve qui permet de conclure à l’existence d’un contrat de courtage qui modifie celui qui existait lors de la Phase Achat.  
[60] L’art. 1525, alinéa 3 C.c.Q. définit ce que constitue l’exploitation d’une entreprise : 
[…] 
[61] La juge Manon Savard, alors à la Cour supérieure, s’exprimait ainsi quant au sens à donner aux mots « dans le cours des activités de son entreprise » :
[76] L'article 2862 C.c.Q. permet la preuve testimoniale, contre une personne, d'un acte juridique passé par elle « dans le cours des activités de son entreprise ». 
[77] En considérant la version anglaise de cette expression et l'analyse du contexte dans lequel elle est utilisée ailleurs dans le Code civil du Québec, les auteurs favorisent une interprétation restrictive de cette exception. Ainsi, elle ne s'appliquerait qu'aux activités régulières et courantes de l'entreprise, qui sont conformes à son objet :
1416 - Généralités - La deuxième condition requise à l'admissibilité de la preuve testimoniale contre l'exploitant d'une entreprise est que l'acte juridique soit passé dans le cours des activités de l'entreprise. Il faut, à cet égard, distinguer les contrats qui sont régulièrement passés dans le cadre des activités d'une entreprise et les contrats accessoires qui interviennent occasionnellement pour le service et l'exploitation d'une entreprise. 
1417 - Activités régulières - Les activités régulières d'une entreprise sont déterminées par son objet. Ainsi, un dépanneur vend des marchandises, un entrepreneur construit des bâtiments, une compagnie de finance prête de l'argent. La preuve testimoniale des contrats de vente, d'entreprise ou de prêt est manifestement recevable lorsqu'elle est offerte contre le dépanneur, l'entrepreneur ou la compagnie de finance. 
1418 - Actes accessoires - L'exploitant d'une entreprise conclut parfois des contrats qui sont nécessaires à son bon fonctionnement, mais qui ne font pas partie de ses activités régulières. C'est le cas de l'épicier qui loue un local, achète une caisse enregistreuse, agrandit son établissement ou emprunte de l'argent. 
[…] 
Les règles dérogatoires, qui ont pour but de faciliter la preuve des actes juridiques posés dans le cours des activités d'une entreprise, s'expliquent tant par le caractère répétitif des activités exercées que par le caractère systématique et ordonné des inscriptions faites. Aussi, il est normal de limiter ces exceptions aux actes posés dans le cours des activités d'une entreprise et d'exclure les contrats qui sont conclus occasionnellement pour favoriser la formation, l'établissement ou le développement de l'entreprise. À notre avis, les termes utilisés ne permettent plus d'invoquer la théorie de l'accessoire pour rendre admissible la preuve testimoniale d'un acte juridique qui n'est pas dans le cours des activités d'une entreprise, même s'il est conclu pour le service ou l'exploitation d'une entreprise. […]
(nos soulignements et références omises)
[78] De façon majoritaire, les tribunaux ont également conclu à l'interprétation restrictive de l'expression « acte juridique passé dans le cours d'une activité d'une entreprise » aux termes de l'article 2862 C.c.Q. 
[79] Dans l'arrêt 9108-4913 Québec inc. c. Capitale Alliance commercial inc., la Cour d'appel refuse la preuve testimoniale d'un contrat de courtage immobilier au motif que celui-ci ne constitue pas un acte juridique passé dans le cours des activités de l'entreprise. Elle écrit :
[19] La preuve révèle que les activités de l'entreprise des appelants ne sont aucunement celles d'un promoteur immobilier, mais plutôt celles d'un commerçant qui généralement acquiert des terrains, non pour la revente, mais pour y ériger et commercialiser des stations-service, dépanneurs, restaurants et centres commerciaux qu'il exploite. La vente du terrain n'a rien à voir, en l'espèce, avec les activités de l'entreprise des appelants. La conclusion du juge selon laquelle le contrat de courtage constitue ici un acte juridique passé dans le cours des activités de l'entreprise des appelants participe donc d'une erreur manifeste et dominante. La preuve testimoniale n'était par conséquent pas admissible, du moins pour ce motif.
[62] Le Tribunal peut-il conclure de la preuve que la location d’espaces dans un centre commercial fait partie du cours des activités (ordinary course of business) de Sobeys? 
[63] Il est tentant de conclure que, comme Sobeys est toujours à l’affut de nouveaux espaces pour établir des magasins d’alimentation, que ce soit comme propriétaire ou locataire, les activités d’achat ou de location de ces espaces et les transactions afférentes à ces activités, dont la conclusion d’ententes avec des courtiers en immeuble, sont dans le cours des activités de l’entreprise. Cependant, ce faisant, le Tribunal s’éloignerait de l’interprétation restrictive de l’exception préconisée de façon majoritaire par les tribunaux. 
[64] L’acte juridique que veut mettre en preuve Royal Lepage, soit la conclusion d’un contrat de courtage, ne fait pas partie des activités courantes de Sobeys, qui est un grossiste en alimentation qui achète d’abord et distribue et vend ensuite, denrées et produits, à ses épiciers affiliés et exploite aussi le commerce de détail. 
[65] Ceci n’implique pas que Sobeys ne transige pas avec des courtiers en immeuble à l’occasion. C’est tout simplement que ces activités d’achat et de location d’immeubles ne sont cependant pas au cœur de ses activités. 
[66] L’exception de l’acte juridique passé dans le cours des activités de Sobeys ne saurait donc trouver application.
Référence : [2018] ABD 23

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