mardi 19 mars 2013

La Cour supérieure sanctionne le comportement abusif de Défendeurs qui ont obligé leur locateur à déposer des procédures judiciaires pour faire visiter leur appartement par l'attribution de dommages en remboursement des honoraires extrajudiciaires encourus

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Le droit québécois sur le remboursement des honoraires extrajudiciaires est tel qu'il importe de distinguer l'abus de droit et l'abus du droit d'ester en justice. En effet, seul le deuxième type d'abus donne ouverture au remboursement des honoraires extrajudiciaires (en l'absence de clause contractuelle à cet effet bien sûr). Dans Sheward c. Dufour (2013 QCCS 1073), l'Honorable juge Claudine Roy souligne cette distinction tout en accordant de tels dommages après avoir conclu à l'abus du droit d'ester en justice de la part des Défendeurs.


Dans cette affaire, des Demandeurs, propriétaires d’un immeuble, réclament des dommages-intérêts d’anciens locataires qui, par leurs gestes fautifs, en ont retardé la vente selon les Demandeurs. En particulier, les Demandeurs allèguent que les Défendeurs ont abusé de leurs droits en ne donnant pas une opportunité raisonnable aux Demandeurs de faire visiter les lieux loués nonobstant le fait que les Défendeurs avaient déjà décidé de quitter ceux-ci.
 
Voici seulement quelques exemples de ce qui est recensé par la juge Roy dans son analyse:
[19] Mme Deakin est une courtière d’expérience. Elle a souvent agi comme mandataire pour la vente d’immeubles résidentiels loués. Elle se préoccupe de respecter les locataires, tout en remplissant son mandat à l’égard des propriétaires. Elle donne toujours un avis de 24 heures avant d’emmener des visiteurs. 
[20] Les Défendeurs ne la rappellent pas. Elle laisse un nouveau message le 13 novembre, puis le 14 novembre. Finalement, le 16 novembre, elle dépose un message dans leur boîte aux lettres. 
[21] Le 17 novembre, les Défendeurs communiquent avec elle et acceptent de la rencontrer. La visite est difficile. Les Défendeurs s’opposent à toute prise de photos et à toute visite libre. Ils imposent d’importantes restrictions sur les heures de visites : deux soirs de semaine entre 17 h 00 et 18 h 30. Ils n’acceptent aucune visite de jour, ni la fin de semaine. Pourtant, les Défendeurs travaillent à partir de leur domicile et sont à la maison presque en tout temps. Mme Deakin se préoccupe du fait qu’elle ne pourra pas faire visiter la propriété à la lumière du jour, mais accepte d’essayer de les accommoder.  
[22] Les relations entre les locataires et Mme Deakin s’enveniment peu à peu. 
[23] M. Dufour prétend qu’il y aurait eu une vingtaine de visites de la maison. Même sa femme n’est pas d’accord. La preuve démontre qu’il y a eu cinq ou six visites seulement. 
[24] Pendant les visites, M. Dufour suit les visiteurs pas-à-pas, ferme les lumières avant même que les visiteurs n’aient quitté la pièce. Il ne laisse aucun espace à Mme Deakin pour faire son travail avec les acheteurs potentiels. Mme Côté se montre agressive et impolie. 
[25] Un des visiteurs mentionne à l’agent qu’il est hors de question pour lui d’avoir affaires à de tels locataires. 
[26] Les Défendeurs prétendent qu’ils agissent ainsi pour protéger la confidentialité de leurs documents de travail. Le Tribunal conclut qu’il ne s’agit que d’une excuse. Il serait aisé de ranger les documents lors du passage de visiteurs dans leur bureau. Après tout, les heures de visites qu’ils ont imposées sont assez restreintes. 
[27] Le 15 décembre, un dénommé Mansour semble intéressé par la propriété. Il désire une deuxième visite pour montrer la résidence à sa femme et à son fils. Alors qu’il est en route, son fils tombe malade. M. Mansour doit reconduire sa femme et son fils à leur résidence, puis se présente tardivement à la propriété de Pointe-Claire. M. Dufour est furieux du retard. Ce n’est que difficilement que Mme Deakin et M. Mansour réussissent à visiter. 
[28] M. Mansour avise verbalement Mme Deakin qu’il serait prêt à faire une offre à 315 000 $, conditionnelle à une inspection. Mais, avant de déposer une offre écrite, il veut montrer la propriété à sa femme. Mme Deakin s’assure de la disponibilité d’un notaire pour formaliser une éventuelle transaction à cette date, même s’il s’agit d’une période de congé. 
[29] Mme Deakin tente de prendre un arrangement avec les locataires. Le 16 décembre, elle laisse un message dans la boîte vocale indiquant qu’elle voudrait organiser une visite pour le 17. Elle tente de transmettre le message également par télécopie, et, finalement, laisse un message dans la boîte aux lettres. 
[30] En fin de journée, elle reçoit un message de M. Dufour. Les Défendeurs exigent que, dorénavant, ce soit M. Sheward directement qui donne un préavis des visites, qu’il soit présent lors de ces visites et, de plus, pour la première fois, ils prétendent ignorer qui est le mandant du propriétaire.
Sans autre recours, les Demandeurs se tournent vers les tribunaux et obtiennent une injonction pour leur permettre de faire correctement visiter les lieux.
 
La juge Roy, saisie de la demande en dommages, en vient à la conclusion que le comportement des Défendeurs a été fautif et abusif. Cependant, elle souligne que c'est l'abus du droit d'ester en justice que l'on doit retrouver pour permettre l'attribution de dommages en remboursement des honoraires extrajudiciaires encourus.
 
Heureusement pour les Demandeurs, la juge Roy constate également cette forme d'abus, soulignant qu'il était téméraire et déraisonnable de forcer les Demandeurs à prendre des procédures en injonction pour pouvoir faire visiter les lieux de manière acceptable:
[101] Les Demandeurs invoquent ici que le comportement des Défendeurs est fautif et abusif et réclament les honoraires extrajudiciaires à titre de compensation pour leur préjudice. 
[102] L’article 4.1 C.p.c. édicte que les parties à une instance sont tenues de ne pas agir en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive ou déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi. 
[103] L’abus d’ester en justice est « une faute commise à l’occasion d’un recours judiciaire. C’est le cas où la contestation judiciaire est, au départ, de mauvaise foi, soit en demande ou en défense. Ce sera encore le cas lorsqu’une partie de mauvaise foi, multiplie les procédures poursuit inutilement et abusivement un débat judiciaire ». 
[104] En d’autres mots, l’abus du droit d’agir en justice se manifeste à l’occasion d’un recours judiciaire et non avant. Pour conclure à abus, il faut conclure à mauvaise foi ou à tout le moins à un comportement téméraire. La mise de l’avant d’une procédure ou d’un argument alors qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans les circonstances similaires, conclurait à l’inexistence d’un fondement pour cette procédure, est téméraire. 
[105] Dans les circonstances, obliger les Demandeurs à venir en Cour supérieure obtenir une injonction pour faire visiter leur propriété et contester cette requête était abusif. Le juge Lalonde a déjà souligné dans son jugement qu’exiger la présence du propriétaire qui réside en Alberta pour les visites était abusif. Les Défendeurs n’avaient aucune contestation sérieuse à faire valoir. Les Défendeurs ont exigé un interrogatoire de M. Sheward et Mme Deakin. Leur demande reconventionnelle est également abusive.  
[106] Par ailleurs, le Tribunal ne peut accorder tout le montant réclamé puisque, une fois le recours transformé en recours en dommages-intérêts, un débat devait se tenir sur le quantum des dommages réclamés. 
[107] Le Tribunal accorde 15 000 $ à titre d’honoraires extrajudiciaires.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/YrIqBQ

Référence neutre: [2013] ABD 112
 

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