lundi 14 mai 2012

La Cour supérieure rejette la notion de déférence variable

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Dans l'affaire Dunsmuir, la Cour suprême a réduit le nombre de normes de contrôle en droit administratif de trois (décision correcte, raisonnable simpliciter et manifestement déraisonnable) à deux (correcte et raisonnable). Cela n'a pas empêché les plaideurs créatifs de tenter de faire d'autres distinctions et de ré-introduire des normes additionnelles. C'est dans cette veine que certains plaident la "déférence variable", laquelle théorie fait moduler le degré de déférence accordé au décideur en fonction du type de décision qu'il a rendu. Dans Syndicat des paramédics et du préhospitalier de la Montérégie - CSN c. Nadeau (2012 QCCS 1986), la Cour supérieure a rejeté l'application de cette théorie de la déférence variable.


Dans cette affaire, la Cour supérieure est saisie d'une requête en révision judiciaire d'une sentence arbitrale rendue le 27 avril 2011. Cette sentence traite de la question du nombre d'heures qui doivent être rémunérées à temps supplémentaires dans un contexte d'étalement d'heures.

Le deux parties conviennent que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte, mais le Syndicat, Requérant en l'instance, plaide que la nature de la décision rendue par l'arbitre invite l'application d'une déférence moindre que celle qui s'appliquerait notamment.

L'Honorable juge Thomas M. Davis rejette cette tentative d'appliquer la théorie de la déférence variable:
[9] Les parties admettent que la sentence attaquée est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable. 
[10] Le Syndicat prétend toutefois que la nature de la question qui était devant l'arbitre donne lieu à une déférence plus importante [NDRL: il s'agit vraisemblablement d'une erreur, puisque le Syndicat plaide que la déférence doit être moindre en l'instance, comme en témoigne le paragraphe 13] de la part du Tribunal. Il réfère le Tribunal à un passage de l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick qui est ainsi rédigé :
Il n'est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. Là encore, la jurisprudence peut permettre de cerner certaines des questions qui appellent généralement l'application de la norme de la décision correcte (Cartaway Resources Corp. (Re) [2004] 1 R.C.S. 672, 2004 CSC 26 ). En clair, l'analyse requise est réputée avoir déjà eu lieu et ne pas devoir être reprise.
[11] Ensuite, le Syndicat réfère le Tribunal à l'arrêt de la Cour d'appel dans Plastique Micron inc. c. Blouin. La Cour s'est exprimée ainsi :
Dans l'utilisation de sa compétence accessoire, l'arbitre ne se trouve pas nécessairement au cœur de sa compétence et la retenue dont les tribunaux doivent faire preuve à l'endroit des conclusions qu'il tire dépend de la nature de la loi à interpréter et de l'application qui est en cause, c'est-à-dire de la question particulière qu'il s'agit de trancher.
[12] Le Syndicat propose donc au Tribunal que l'arbitre Nadeau exerçât une compétence accessoire en interprétant la LNT et dans une certaine mesure que l'analyse qu'il était appelé à faire avait déjà été faite par la Cour d'appel dans l'affaire Plastique Micron inc. 
[13] Il ajoute que ça ne revient pas à l'arbitre d'assurer que la mission voulue par le législateur dans la LNT soit atteinte, mais plutôt à la Commission des normes du travail. La décision de l'arbitre vise une norme publique de protection et dans ce contexte, la déférence du Tribunal à l'égard de sa sentence doit être moindre. 
[14] Pour l'Employeur la notion de déférence variable n'existe pas. Il réfère le Tribunal à deux arrêts de la Cour d'appel dans Fraternité des policières et policiers de la MRC des Collines-de-l'Outaouais c. Collines-de-l'Outaouais (MRC des) et dans Syndicat des chauffeures et chauffeurs de la Société de transport de Sherbrooke, section locale 3434 du SCFP c. Société de transport de Sherbrooke. Dans Fraternité des policières et policiers de la MRC des Collines-de-l'Outaouais,le juge Morrissette s'est exprimé en ces termes :
Il ne peut faire de doute que l'arbitre était validement saisi du grief sur lequel il a statué. Pour ce faire, il devait interpréter la convention collective et la LNT, une loi de portée générale en matière de conditions de travail et qui, selon les termes de son article 93, ne tolère aucune dérogation dans une convention collective. L'arbitre rendait ici une décision soumise à la norme de la décision raisonnable et il n'y avait pas lieu de moduler d'une quelconque façon cette seule exigence de« raisonnabilité ».
[15] Suivant les enseignements de la Cour suprême dans les affaires Dunsmuir et, Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, le Tribunal est d'accord que la sentence de l'arbitre est assujettie à la norme de la décision raisonnable. Par ailleurs les deux arrêts récents de la Cour d'appel, Fraternité des policières et policiers de la MRC des Collines-de-l'Outaouais et Syndicat des chauffeures et chauffeurs de la Société de transport de Sherbrooke, section locale 3434 du SCFP ont retenu la norme de la décision raisonnable alors que l'arbitre avait à interpréter des articles de la LNT. Comme le juge Morrissette a conclu dans l'arrêt Fraternité des policières et policiers de la MRC des Collines-de-l'Outaouais, le Tribunal conclut que dans les circonstances du présent dossier, il n'y a pas lieu de moduler l'exigence de raisonnabilité
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/KyanDx

Référence neutre: [2012] ABD 149

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.
2. Cartaway Resources Corp. (Re) [2004] 1 R.C.S. 672.
3. Plastique Micron inc. c. Blouin, 2003 CanLII 14708 (C.A.).
4. Fraternité des policières et policiers de la MRC des Collines-de-l'Outaouais c. Collines-de-l'Outaouais (MRC des), 2010 QCCA 816.
5. Syndicat des chauffeures et chauffeurs de la Société de transport de Sherbrooke, section locale 3434 du SCFP c. Société de transport de Sherbrooke, 2010 QCCA 1599.

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