lundi 9 avril 2012

L'usage doit être non seulement allégué, mais il doit également être prouvé

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Vendredi dernier nous discutions de l'affaire Gregory c. Chateau Drummond Inc. (2012 QCCA 601) sous l'angle de l'ambiguïté nécessaire pour enclencher les principes d'interprétation. Aujourd'hui, nous désirons traiter d'un autre aspect de la décision, i.e. la preuve nécessaire pour formuler un argument d'interprétation en fonction de l'usage.


Le juge de première instance, en acceptant l'interprétation contractuelle proposée par l'Intimée, s'était fondé sur les usages en matière de vente de condominium. Selon lui, ces usages contredisaient la thèse soumise par l'Appelante.

Comme nous en avons discuté vendredi, la Cour ne voit pas d'ambiguïté dans la clause en question et donne raison à l'Appelante sur son sens clair. Mais la Cour traite quand même de la question de l'usage. À cet égard, l'Honorable juge Benoît Morin, au nom d'un banc unanime, indique que rares sont les cas où l'usage sera de connaissance d'office et donc qu'une preuve directe sera presque toujours nécessaire. Or, cette preuve fait défaut dans la présente affaire:
[64] Un usage doit être non seulement allégué, mais aussi prouvé. Il doit de plus être ancien, fréquent, général, public et uniforme. En première instance, aucune preuve d'un usage n'a été faite.
[65] Le juge qualifie de preuve d'usage les témoignages de William Reim et Serge Labelle. Relativement à ces témoignages, il affirme :
[38] Quant à la compréhension qu'ils avaient de la clause 5.1 de l'annexe, Labelle affirme que Gregory devait s'en prévaloir avant le 1ermai 2005. Reim est toutefois plus confus dans cet aspect de son témoignage. Cependant, les deux (2) s'accordent pour dire que dans le cas d'un condominium personnalisé, l'usage veut qu'il y ait une limite dans le temps pour l'exercice d'une faculté de dédit.
[66] Toutefois, ces deux témoins n'ont pas témoigné quant à un usage quelconque dans leur domaine. Ils ont plutôt expliqué que leur interprétation de la clause 5.1 de l'annexe E se fonde sur les besoins spécifiques à une unité personnalisée comme celle faisant l'objet du litige.
[67] Il peut arriver que le tribunal puisse prendre connaissance d'office d'un usage. Toutefois, les cas sont limités, tel qu'affirmé précédemment par cette cour :
Il est admis que la connaissance d'office ne peut jamais porter sur les faits précis générateurs de droit dans un litige donné: le fait doit donc s'imposer avec un tel degré de certitude que toute preuve contraire paraisse futile.
[68] En l'espèce, le juge ne pouvait conclure à l'existence d'un usage en matière de vente d'unités de copropriété personnalisées en s'appuyant sur des témoignages portant sur l'interprétation de la clause 5.1 de l'annexe E du contrat préliminaire d'achat, soit précisément un fait générateur de droit dans le litige visé entre les parties. Conséquemment, le juge a commis une erreur et la notion d'usage ne pouvait servir d'assise à son raisonnement.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/IvIaIU

Référence neutre: [2012] ABD 106

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