mercredi 22 juin 2011

Le droit d'usage accordé pour une période indéterminée ne vaut pas nécessairement pour la durée entière de la vie du récipiendaire

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Le principe de base en droit contractuel québécois est que les obligations contractées ne sont pas perpétuelles. Ainsi, les obligations qui n'ont pas une durée déterminée peuvent habituellement être résiliées sur préavis d'une durée raisonnable. Selon la décision de la Cour supérieure dans Québec (Curateur public) c. T.V. (2011 QCCS 2960), ce principe vaut également pour les droits d'usage.


Dans cette affaire, le litige oppose une mère à ses filles concernant un condo que leur a laissé leur père à son décès. La mère allègue jouir d’un droit d’habitation «sa vie durant» dans le condo, ce que ses filles nient totalement.

En fait, le droit d'habitation est conféré pour une période indéterminée et l'Honorable juge est appelé à déterminer si cette expression signifie que la mère bénéficie de ce fait du droit d'habitation jusqu'à son décès. Il répond à cette question par la négative et souligne au passage que les contrats à durée indéterminée, en droit québécois, de par leur nature, sont susceptibles de résiliation:
[51] La défenderesse est d’avis qu’en lui conférant l’utilisation du condo «pour une durée indéterminée», son ex-époux lui a consenti un droit d’usage sa vie durant. Elle invoque les articles 1176 et 1123 du Code civil qui prévoient que le droit d’usage «accordé sans terme est viager».
[52] Ce n’est pas l’avis du Tribunal. Même si l’on devait tenir que l’entente du 12 janvier 1994 a conféré à l’ex-épouse un droit d’usage, les mots «pour une durée indéterminée» n’ont pas la portée que madame leur donne.
[53] On doit d’abord constater que la convention ne dit pas que madame pourra utiliser le condo «tant qu’elle vivra» ou «sa vie durant», comme le voudrait madame.
[54] On doit considérer qu'un engagement aussi «lourd» doit être clair.
[55] En réalité, le mot «indéterminé» n’a pas du tout le sens que lui donne la défenderesse. Il exprime plutôt le principe de toutes les mesures accessoires qui sont de nature alimentaire. Étant révisables en tout temps, sauf si un terme précis est fixé (et encore!), elles sont fixées pour une «durée indéterminée» étant entendu qu’elles pourront être révisées à la demande de l’une ou l’autre des parties en tout temps. Les mesures alimentaires ne valent ainsi que pour un temps «indéterminé». Elles se distinguent en ce sens des mesures patrimoniales.
[56] Le Tribunal reconnaît de fait dans l’affaire S.C. c. N.G. précitée que dans le cas d’un «droit de résidence» accordé comme composante de l’assistance alimentaire, «le tribunal est investi de la discrétion nécessaire pour apprécier si des changements sont survenus depuis sa création et, si oui, quelles peuvent en être les conséquences» (par. 200).
[57] On voit par ailleurs au Code civil que lorsque le mot «indéterminé» est utilisé, cela signifie généralement que l’on peut mettre fin à la situation en donnant un avis. C’est le cas en matière de bail (art. 1882 C.c.Q.), de contrat de travail (art. 2091 C.c.Q.), de prêt (art. 2319 C.c.Q.), de cautionnement (art. 2362 C.c.Q.), etc.
[58] La Cour est d'avis que les mots «pour une période indéterminée» utilisés en l'instance signifiaient simplement que la mesure vaudrait tant qu'elle ne serait pas révisée à la demande de l'une ou l'autre des parties… ou qu'elle ne prendrait pas fin pour l'un des motifs reconnus par la loi.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/jCviKU

Référence neutre: [2011] ABD 210

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