mardi 15 février 2011

Un testament injuste ne mène pas nécessairement à la conclusion qu'il existait captation

Osler, Hoskin & Harcourt s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Le deuxième billet jamais publié sur notre Blogue discutait des enseignements des tribunaux en matière de captation et soulignait le lourd fardeau qui pèse sur la partie requérante en la matière (voir http://bit.ly/MOTPUZ). Or, nous attirons aujourd'hui votre attention sur un jugement récent qui ajoute que le fait que le testament en question soit injuste n'est pas nécessairement indice de l'existence de la captation. Il s'agit de l'affaire Dubé Létourneau c. Chouinard (2011 QCCS 472).


Dans cette affaire, les Demandeurs requièrent l’annulation du dernier testament de leur tante. Ils allèguent la captation de cette dernière. L'Honorable juge Catherine La Rosa rappelle d'abord le fardeau important qui pèse sur les Demandeurs:
[14] Dans la province de Québec, la liberté de tester est pratiquement absolue. Ainsi, le testateur qui possède la capacité juridique requise peut léguer ses biens à qui il le veut bien. Conséquemment, toute personne ayant cette capacité peut, par testament, régler de façon autre que celle prévue à la loi, la dévolution à sa mort de tout ou partie de ses biens. La capacité du testateur se considère au temps du testament. Ainsi, peut être attaquée la validité d’un testament signé alors que le testateur n’a pas la capacité requise pour manifester sa volonté de façon éclairée.
[15] La « captation » du testateur peut être invoquée pour demander l’annulation du testament. On l’assimile à un vice de consentement. Ce terme n’est cependant pas défini de façon précise au Code civil. Notre cour, dans l’affaire Lafortune c. Bourque, apporte une définition fort juste de ce qu’on entend par « captation » :
« La captation est une forme particulière de dol, soit un vice de consentement qui résulte de mensonges, de manœuvres frauduleuses ou de manigances de la part de bénéficiaires potentiels, utilisant des pressions, des détournements ou de l’influence indue sur le testateur. »
Selon la juge La Rosa, si les manœuvres utilisées pour tenter d’influencer la testataire revêtent un caractère de « dol », elles pourront justifier l’annulation du testament. La preuve de la captation s’apprécie de façon globale en fonction de différents critères. L’âge, l’état de santé et la condition sociale du testateur sont des indices à considérer quant au degré de résistance que le testateur pouvait opposer aux manœuvres dont il a pu faire l’objet. Le fardeau de la preuve repose sur les épaules de celui qui réclame la nullité de l’acte. On ne peut se fonder sur de simples soupçons.

Le fait que le testament est injuste n'est pas, en soi, une démonstration de la captation:
[25] Un testament peut paraître injuste. Cet élément ne justifie pas à lui seul l’existence d’une captation sur le testateur. Le Tribunal fait siens les propos de l’auteur Jean Martineau :
« Il arrivera que certaines personnes, ignorées ou désavantagées dans un testament, tentent de le contester parce qu'il leur apparaît injuste. Il se peut que le testament soit injuste, mais les juges du fond doivent alors apprécier souverainement si, au moment où il a disposé, le testateur était sain d'esprit et si le testament était l'œuvre d'une volonté raisonnable et libre. »
[26] La Cour supérieure, dans la décision Arpin c. Arpin, s'est d'ailleurs exprimée en ce sens. Dans cette affaire, les parties sont les enfants du défunt dont certains sont plus avantagés que d’autres. Le Tribunal a conclu que même s'il était difficile pour les demandeurs de concevoir que leur père ait pu être injuste à leur égard en donnant ses seuls biens importants aux défendeurs, cette injustice résultait de sa propre volonté. Ainsi, on ne peut parvenir à une conclusion de captation à moins de gestes frauduleux; ce qui n’a pas été prouvé dans cette affaire.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/hsJguE

Référence neutre: [2011] ABD 52

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Lafortune c. Bourque, J.E. 2000-1378 (C.S.).
2. Arpin c. Arpin, J.E. 2009-340 (C.S.).

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